samedi 3 janvier 2009

Pendant que le monde bavarde à rien d'important

Oui, il avait ses torts, mais il les connaissait.

Le bus qui le ramenait de Belgique roulait bruyamment. Au dehors, quelques dizaines de lumières brillaient au milieu de la nuit, quelques lumières lointaines qui lui rappelaient qu'ailleurs, il y avait de la vie. Les passagers ne le fixaient pas, malgré son teint pâle et ses yeux mi-clos. Ils s'occupaient, comme à chaque trajet, de choses inutiles. Parler, rire, manger, lire un livre ou, comme lui, écouter de la musique. Son coeur battait bien trop fort. Il savait qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps, plus que quelques minutes avant l'arrivée en gare. Il savait qu'il ne reprendrait plus ce bus, et qu'il n'y aurait pas de retour. Il savait.

Malgré tout, il se surprenait encore à rêver d'une belle histoire d'amour, comme on en voit dans les films, comme on en entend dans les morceaux embellis de quelques artistes maudits, comme on en voit dans la magie des songes. Oui, il aurait aimé dormir sous les arbres le reste du temps.


Mieux que tous les palais de marbre, l'or des sultans.

Mais la vie le ramène là, dans ce bus macabre, comme l'ultime voyage d'âmes égarées.

Non, sa vie n'intéressait personne, et même lui oubliait qu'il était homme parmi les hommes. Non, il n'était pas beau, pas vraiment cultivé, et franchement pas sociable. Il était l'un des fantômes que l'on croise dans la rue, l'une de ces personnes sans distinction, un corps, une tête, et rien de plus.


Mais pendant que le monde bavarde à rien d'important, il aurait aimé dormir sous les arbres le reste du temps.

Il posa sa main à plat sur son coeur fatigué, l'écoutant battre à perdre haleine, comme s'il lui murmurait "tu es vivant, remue-toi, vite". Vouloir vivre est une chose ; survivre en est une autre. Lui, il survivait, au milieu des regards fugaces, lassé de toutes ces pensées malsaines qui voyageaient en permanence au-dessus de sa tête. Il aurait dû naître fort, arrogant, et sûr de lui, mais toutes les nuits il ne parvenait qu'à se blottir sur lui-même en se demandant s'il arriverait à décrocher un sourire à la journée qui l'attendait.


C'était un monde de pensées qui s'ouvrait à lui chaque matin, l'espoir intense de trouver une once de bonheur dans l'altérité. Mais personne ne le voyait, et personne ne semblait l'entendre. Chaque être humain, dans sa folie égoïste, ne cherchait qu'à lui soutirer quelque profit personnel.
Un peu d'argent, un peu d'amour, beaucoup de haine.

Le bus klaxonna ; il ouvrit les yeux. Son coeur glissa entre ses doigts, et, dans un dernier coup de grosse caisse, une décharge lui parcourut le torse, les bras, les jambes et le crâne. Sa tête claqua sur le carreau, ses bras retombèrent, ses yeux se refermèrent.


Derrière lui, deux jeunes rièrent, pensant qu'il pouvait sentir la douleur provoquée par le choc contre la vitre.


Devant lui, une jeune fille écoutait son baladeur en regardant le paysage. Elle aurait aimé s'asseoir sous les arbres le reste du temps.


Lorsque le bus arriva au terminus, le chauffeur découvrit stupéfait qu'un de ses passagers s'était vomi dessus. En essayant de le réveiller, il comprit qu'il était trop tard.


Nous naissons, vivons et disparaissons dans l'anonymat le plus total. Nos pensées échappent aux autres, et ces mêmes autres n'envisagent pas une vie altruiste.


Tous autant qu'ils sont.