samedi 22 mai 2010

Guewen Raphin #1

Après un long silence, voilà la première partie d'une nouvelle écrite pour le PJEF (Prix du Jeune Ecrivain Français), mais qui n'a pas été retenue... par contre, vos avis sont bienvenus !


Au revoir, Guewen


Je m’envole bientôt. Bientôt, je rejoins le ciel, cette immensité lumineuse, je vole vers les étoiles et je m’arrache à mes racines puantes et austères.

Je l’ai vu partir, comme ça, du jour au lendemain. Ses yeux rougis par les rêves se sont fermés doucement, et il s’est envolé. Ca paraît dingue, si proche, mais si loin en même temps. Si soudain, mais prévisible. Je croyais qu’il prendrait son temps, qu’il me dirait au revoir. Ah, le temps. Je l’attendais, je brillais à l’idée de le voir débarquer, aujourd’hui, demain, tout à l’heure. Mais il n’est jamais venu. Il a préféré partir sans un mot. Sans une excuse. Sans même un peu de dope.

Un grand nombre de mes amis sont morts, et beaucoup sont morts pour rien. Mais lui, il s’envolait trop. « Je souffle sur les étoiles comme je souffle sur mon pétard ». Ca vous paraît beau ; c’était stupide. Imbécile et fier, il prônait l’éveil de l’âme. L’intellucidiligence. La connerie, ouais. Mais il avait raison sur un point : la vie ne choisit pas pour nous. Elle convient à beaucoup, mais il y a toujours des déçus. Lui faisait partie du second groupe.

C’est sûr que ça fait bizarre, de voir quelqu’un s’envoler. C’est une sensation étrange, un peu comme l’accès à un autre monde, à une autre réalité. Comme se réveiller le matin encore tout épris des courbes des rêves de la nuit. Comme penser apercevoir, dans une ombre distordue, l’inquiétante silhouette d’un fantôme étranger. Etrange, dit l’ange.

Toujours est-il qu’en rangeant les quelques affaires de notre appartement, je suis tombé sur un cahier spécial. Si vous regardez bien la chambre d’un ami, vous y verrez toujours un détail qui vous trouble ; qui vous attire l’œil comme pour vous dire : « j’ai un secret ». Celui-ci était tout simple ; simple assemblage de feuilles blanches, agrafées ensemble par le flanc gauche. C’est bien la couverture qui m’aura fait tilter. Mauve, sombre, un peu comme une invitation à la démence. Et dessus, en lettres blanches, dans une grosse écriture tracée au pinceau, on lisait ceci : « La vie n’est que les rêves que je pourrai en faire ».

Quant à moi… j’ai vécu trop longtemps avec lui pour rester dans cet endroit. J’ai pris quelques cartons et je suis parti voir le monde. Mais je tenais, un jour, à vous faire partager les doutes et les idées qui animaient cet homme. Un certain Guewen Raphin.


I. GUEWEN RAPHIN ECRIRA

24 novembre 2003, 16h34, heure locale et mouvement indolent :

« Ma vie ravit mes rêves ; mes rêves, ma vie : mon cul »

Il fait sombre ici. J’ai vu des jours aux formes plus rondes.

C’est bizarre, ce qui se passe par là, parce que, par là, c’était ma vie.

Bien dommage, moi l’exalté, fou refoulé, campant devant les portes d’entrée

Et puis voilà, tout est parti. La lumière, le temps, les gens, je ne vois plus grand-chose.
Qu’est-ce qu’il fait sombre, ici…


30 novembre 2003, je suis enrhumé.

Pourquoi ? Comment. Et voilà que ça recommence. Nos histoires de rebellions. Tu as le cœur en miettes ? C’est bien dommage. On lui dira, je lui dirai. Tu délires mon vieux.

J’ai commencé aujourd’hui mon boulot à l’imprimerie. C’est un bon début, le taf est sympa et ça me ramène de quoi manger. Les gens sont cools, bla bla bla… et puis le temps passe, et je bloque devant la case « boulot »… et je passe ma vie à foutre la même chose, je m’enlise, j’en crève et je poursuis ma longue descente vers cet enfer qui m’appelle.

Et puis j’ai beau voir chez les femmes ce que j’aime dans la vie, je ne trouve pas ma place avec l’une de ces filles. Je vais errant, à contretemps. Comme le vent. Qui m’emporte ; deça, delà, pareil à la feuille… la suite, on la connaît tous.


13 décembre 2003, la larme à l’œil, l’œil alarmant.

Mes douleurs oculaires recommencent. Belle appellation pour un phénomène inexpliqué. Parfois, ma vue se brouille, mes yeux s’envolent. Des étoiles qui apparaissent, la tête qui bourdonne. J’hallucine.

Dans le doute, j’ai ralenti un peu mes conneries. Je tempère, mais les habitudes sont difficiles à contredire.

… c’est aussi vrai que j’ai entendu dire que c’était l’excuse typique des accros.

Et puis merde ! tant pis pour la vie, allons-y pour les rêves. Que le monde m’accorde ma part de liberté ! Qu’on me laisse respirer, voir, aimer, transpirer ; grandir… mais ne pas en suer.

Je réfléchis à ma société idéale, étant par là même un citoyen bon et respectable. C’est ma contribution au débat qui n’existe pas sur la notion de bon ou de mal dans ce que nous faisons. Et c’est vraiment une belle connerie. Le bon, le mal, à la rigueur… peu importe. Tout homme a sa part de sourires et de rages, de qualités et de défauts. Nous sommes tous des copies ; la nature n’a jamais voulu fabriquer un échantillon unique. Mais le pire, l’ignoble, l’horrible dans tout ça, c’est que chacun se sent obligé d’ « être bon ». Est née l’hypocrisie, le fléau de notre époque. La raillerie, le « paraître », le « in », à la « mode »… le vestimentaire aura tué l’homme. Alors que les rôles étaient bien définis, le marché a vu débarquer des dizaines de nouveaux « genres ». Du style qui allait saisir un groupe de gens… et puis le vestimentaire s’accommoderait, dans l’image, à un caractère. Qui serait, par la suite, imprimé dans les crânes comme pour dire : « c’est tes fringues, c’est toi ».

Ouais, l’hypocrisie fend bien des cœurs. A commencer par le mien. Je vois le monde qui tourne, en plein tournage, le monde. Des acteurs, par-ci, par-là, quelques réalisateurs qui tentent vainement de tourner à grands coups de politique et de fumisteries – ceux-là sont les plus dangereux ; et d’autres qui sont réellement bons et qui marquent les consciences de par leur charisme et leur humanité joyeuse..

L’homme n’est ni bon, ni mauvais, au final. L’homme est lui-même, mais c’est l’homme qui respecte son égal qui est le plus respectable. Et voilà que par la suite, c’est ceux qui mentent aux autres qui finissent par se mentir à eux-mêmes. Ils s’éteignent dans leur personnage, dans la routine qui les bouffe. Ils se lassent, se laissent porter au vent mauvais. Qui les emporte, etc.


II. Y a-t-il seulement eu un I ?

J’ai rencontré Guewen à la faculté. Par un hasard, une coïncidence. Des circonstances soumises aux lois… mais quelles lois ?

J’avais 22 ans à l’époque. Pas de bagages dans les pieds, mais beaucoup de projets dans la tête. Du genre, le cœur vaillant, qui quitte peu à peu son petit foyer en pensant être capable. Non pas mature, mais capable. Ayant bien intégré vos lois, vos idées. Sachant comment envoyer une déclaration d’impôt. Sachant gérer sa vie selon vos critères.

Je pensais être à la hauteur, et tout me paraissait aisé. Des études en demi-teinte, un boulot à la con pour se mettre sur les rails… et puis des conneries à foison.
Trop d’alcool par là. Et puis trop de filles par ici. Beaucoup de dérision, d’autodérision, des coups qui se perdent.

Non, on ne tombe pas dans une vie folle par plaisir. Ou plutôt si : on commence pour le plaisir. Mais la distinction est bien là : on s’amuse parce qu’on est comme ça. Votre modèle impose la discipline, l’effort et la douleur comme des modèles à suivre. Pas de rigueur sans discipline, pas de réussite sans effort et pas de vie sans douleur. Avant même de naître, nous ressentions déjà ce qui nous attendait ici. Certains l’acceptent, d’autres le refusent. C’est un choix, et il est proprement humain. Nous sommes une minorité à croire en autre chose que vos alternatives. Il existe, de part et d’autre du monde, des hommes et des femmes comme nous. Qui rêvent d’un ailleurs, d’un autre, qui imaginent le bonheur et qui crèvent de ne pas le voir dans vos yeux aujourd’hui. L’homme se tue à être ce qu’il n’est pas.

Savoir être heureux reste aujourd’hui plus compliqué que le plus compliqué des livres. Ou des hommes, mais peu importe. L’essentiel n’est pas ce que je fais, mais tous les rêves que je pourrais faire.


Guewen est étrange. C’est un type robuste, souriant, qui vous regarde et qui lance de sa bonne voix : « Hé, t’as pensé à moi hier ?

- Euh… ouais, peut-être, pourquoi ?

- Je sais pas, curiosité. »

C’est surtout la différence qui importait. Nous étions assez opposés. Il était séduisant, j’étais plutôt moche. Il était beau gosse, j’étais pas très charismatique. Et comme ces paires d’adjectifs, l’un inapproprié pour l’autre.

On a fini par habiter tous les deux dans ce même appart. Lui venait de quitter sa copine et cherchait un endroit où s’envoler pour pas trop cher ; moi j’étais frais et puissant, et prêt à tous les voyages.

C’était un appart plutôt bien adapté, spacieux mais intime, neutre mais personnel. Les bouteilles s’y vidaient assez vite, les substances illégales y trouvaient leur place, et j’avais souvent les yeux rouges le lendemain. C’est bien cette fois-là que j’ai vu ce carnet pour la première fois.