dimanche 26 septembre 2010

Rares sont les damnés #1

S'il avait décidé de le suivre, aujourd'hui, c'était pour des raisons bien évidentes. Pourtant...

Ils avaient prévu de partir samedi matin, s'arrêteraient sur la Rocheuse du Piquet pour rentrer le dimanche soir, se boiraient peut-être un verre... et s'en iraient, finalement, chacun de leur côté. Lui n'aimait pas tellement la randonnée, mais il appréciait le simple contact de l'air, du ciel, de l'extérieur. C'était revigorant et, socialement, c'était appréciable et sain.

Il posa son sac près de son lit et l'ouvrit. Puis il avisa deux T-Shirts et un pantalon de toile qui feraient sûrement l'affaire ; soigneusement, il s'en saisit, les posa délicatement sur son lit et hésita.

"Ouais mais, au fond de là... ils vont finir fripés !"

Nous avons tous de mauvaises habitudes : la sienne, c'était de croire au soin éternel. A l'ordre, au rangement, classement, mise en place de structures solides capables de supporter de lourdes charges, tri efficace et sans heurt, bref, à la présence d'une divinité qui superviserait les tâches majeures de la vie d'un Homme - entendons par là : destin, amour, travail, famille, patrie, bonheur, malheur, des meilleures et j'en passe.

Il se résigna, acheva ses préparatifs en hâte. 7h sonnait déjà.

(...)

mercredi 1 septembre 2010

Un pour tous. Tous pour un ?

Le temps a des hauts et des bas.

Il faisait moins froid là-bas.

Pourtant, ce dont je me souviens, c'est de la peine et des blessures du vent. Celui qui congelait les âmes et ramenait toute chose à son état primaire.

Par ici, il fait plus chaud, c'est sûr. C'est un pays où certains cohabitent et d'autres se quittent ; le soleil s'y veut peut-être plus présent, mais nous n'y sommes pas seuls.

Sur ces terres, c'est l'Homme qui se confronte à l'Homme.

On pourrait croire à la loi du plus fort, il n'y a que celle du nombre qui compte. Celle du groupe, du clan, et parfois celle de la nation.

La vraie force de l'Homme est née de l'entente ; une entente non-solidaire, faussement collective, portée par des intérêts personnels. Qui amenèrent à la solidarité, aussi factice qu'elle soit.

Pouvait-on espérer autre chose ?

Rien n'est acquis, et la nécessaire transmission de savoir a été la pièce maîtresse de cette bâtisse bancale, mue par des forces opposées. Il fallait apprendre : apprendre à se nourrir, apprendre à communiquer, apprendre, finalement, à être autonome.

Etre autonome, pour mieux porter ses valeurs et intégrer un nouveau groupuscule.

La liberté est toute aussi illusoire que la solidarité. Prisonniers de ce que d'autres décidèrent avant nous, le seul choix qu'il nous reste est de suivre la voie.

La somme des intérêts personnels amènent l'intérêt collectif.


La bête qui déferla sur nos régions, il y a plusieurs milliers d'années, acheva de nous convaincre. Seuls, nous n'étions que lambeaux de chairs, cervelle impuissante. L'union faisait la force, et nos bras, plus assurés, parvinrent à détruire la menace.

Que nous restait-il ?

Le besoin de reconstruire, de nous assurer un avenir meilleur. Une sécurité. Les premières technologies, puis les premières constructions... et vous voilà, à notre place, dans le carcan que d'autres nommèrent "société".

Si c'est un piège, il est finement agencé. Puisque, prisonniers de vous-mêmes, vous voilà interdépendants. Dépendants de vos parents, puis de vos contemporains, puis de votre propre conscience qui tend à vous ramener dans le droit chemin. Celui qu'empruntent la majorité de vos pairs, celui que nous avons choisi pour vous. Le bon.

Il nous reste un conseil, un seul : choisissez bien votre camp.

mardi 13 juillet 2010

Qu'est-ce que la vieillesse ?

Est-ce la mort du corps pour la beauté de l'âme,
Ou le temps qui dévore notre triste membrane ?

Peut-on nommer "sagesse" les pensées délirantes
Nées des jours traversés, sans pour autant en prendre,

L'essence même, l'erreur, analysée à froid,
Qui sert à la conscience de ce que l'on n'est pas ?

mardi 22 juin 2010

Guewen Raphin #4 - Fin

Après des jours et des jours d'attente, ne le niez pas, oui, voici la dernière partie de cette fameuse nouvelle :

VII. Récit d’une nuit d’été

C’est vrai qu’à cette période, Guewen et moi étions bien trop fatigués. On avait luttés si longtemps contre cette difficulté qu’on avait tout oublié : le quotidien, le facteur, l’heure et même les gens. On s’était enfermés dans cette bulle, là, seuls, comme des cons, face à eux-mêmes, défoncés en pleine après-midi pour espérer apercevoir des rêves passer par la fenêtre.

Qu’est-ce qu’on était cons ! Cons, et aveugles. Guewen ne le saura jamais ; moi je l’envisagerai en le quittant. Et puis j’y repenserai longuement, perçant à jour des dizaines de preuves accablantes. J’attestais alors moi-même de ma lâcheté. Et je me sentais trahi.

Par moi-même, par ma vie, par tout ça. Et par Guewen.


Il m’avait promis, sans le vouloir, tant de choses ! Ses idées étaient belles, et je l’avais suivi comme l’on suivrait un politique : des rêves plein la tête, mais des rêves déchus.
Je lui en ai voulu, à Guewen. Des années, bien trop longtemps. C’était une rancœur froide et intense. Un peu comme le MIm.

Et puis, en retombant sur ce carnet, j’ai tout compris. J’ai compris que même lui ne croyait pas en ses rêves. Il envisageait tout, et à trop réfléchir, il en perdait le sens profond du bonheur. Il est passé à côté de tant de choses, juste parce qu’il restait là, à fumer.

Bien sûr, ce n’est pas le cannabis qui l’aura achevé. Ni sa faiblesse, parce qu’il était bien trop entêté. Ce n’est pas non plus sa passion du perspicace, du rationnel et du logique.


Non, c’est moi qui l’ai fait disparaître. Qui lui ai porté le coup de grâce.


17 décembre 2004, et du plus bas il vit le ciel

J’ai rencontré une fille aujourd’hui. Ces mots me débectent. Elle me débecte aussi, mais ça me plaît. « C’est étrange, dit l’ange, que l’Homme soit fait de si peu d’ailes ». Comme nous marchons, cloués au sol, voyant passer, sur le côté, les cordes qui pendent aux joues des séraphins.

L’amour me hante et me détruit, parce que je n’arrive pas à m’aimer moi-même. Je réfléchis, des fois, tiens. Ca en serait presque risible. Je suis un con ; un sale con, bien trop con pour voir le ciel et ces étoiles. Je souffle dessus, elles disparaissent. J’aveugle, je me noie, je bouscule dans les quartiers sombres. Là où même la lune n’apporte plus rien.

Mais cette fille… « c’est étrange, dit l’Homme, ce sentiment morose qui éteindrait presque l’ange, lorsque l’Homme aime l’Homme ». Il plane au-dessus de ma tête comme un silence confus, lorsque je vois ses yeux ou sa bouche qui me sourient. Comme une valse hors du temps, où seules ses courbes et sa joie de vivre me prennent à parti. Une escapade fugace. Ouais, une demi-pause surréaliste. C’est beau ; et moi, je trouve ça beau. Et elle me parle, en plus ! Elle me raconte sa vie, mais moi je suis épris de ses rêves.

Elle m’a proposé d’aller passer quelques jours en vacances avec elle, dans un trou du cul du monde, mer du Nord CEDEX 99. Bof, ça me fait sortir, je suis le mouvement, à défaut de l’être. Serai-je emballé, endurci ou effaré ?


Lorsque Guewen m’a dit qu’il partait avec cette fille, je me suis dit qu’il tentait sa chance, vainement, une fois de plus. Il a tourné au coin, et je ne l’ai plus jamais revu. Je n’aurais pas eu le temps de lui dire au revoir. Il a préféré partir sans un mot. Sans une excuse. Sans même un peu de dope.


VIII. GUEWEN RAPHIN S’ENVOLERA

Là où vous êtes, vous vous demandez sûrement pourquoi je vous raconte tout ça. Tous ces mots qui n’ont pas de sens pour exprimer ce que je pense de tout ça. C’est bizarre, peut-être un peu tordu, je n’en sais rien. Ces mots viennent de ma tête, de ces souvenirs éparpillés un peu partout. Des songes, de ces nuits d’été, de cette plage sombre et de l’appartement.

De tout ce que j’ai vécu, de ma rencontre avec Guewen jusqu’à aujourd’hui. Le nombre de fois où j’ai pu changer, connaître, aimer, quitter.

Grandir a été pour moi la pire des étapes. Devenir adulte allait à l’encontre de mes principes. Je ne voulais pas vieillir, j’avais peur de tout ça. Tout est devenu d’un coup démesuré, comme inadapté à la petite personne que j’étais. Petite, effrayée, comme une bête qu’on bat et qui redoute le prochain coup. J’étais faible.


La part de responsabilité du cannabis, de l’alcool, d’une vie folle, se situe sur ce point-là : elle aura beau eu me faire connaître les quelques parfums d’un monde différent, ce monde-là m’a happé, englouti, dévoré. J’étais prisonnier de quelque chose de bien terrible que le Léviathan. Voir le monde plus coloré, plus beau quelques instants me poussait à adopter ce remède à la mélancolie profonde qui me hantait. C’était plus facile de rester cloué au sol, à puer de la gueule, que d’aller voir plus haut. Parce que grimper demande un effort immense. D’en haut, on se contemple, et l’on se dit : « ouah, j’ai l’air tout petit ». L’œil que l’on jette sur soi-même est comme empreint de nostalgie, mais d’une nostalgie burlesque, un peu comme lorsqu’on se rappelle d’un bide. On cracherait presque sur ces petites têtes, là-bas, en bas. Le cannabis m’a renfermé sur moi-même. J’étais devenu ma propre ombre, un peu comme un MIm au regard triste.


Pour tout vous avouer, je ne sais pas réellement pourquoi j’ai inventé Guewen… parce que oui, il n’est rien d’autre que moi-même, ou du moins l’était. Peut-être parce que je ne pouvais pas m’affronter. J’avais besoin d’un miroir, de quelqu’un à qui parler. Dans ce journal, j’étais lui face à moi, et quand je me parlais à voix haute, j’étais moi face à lui. Il avait ses défauts, mais m’aidait à combattre les miens. Là, tout seul, dans cet appartement, j’avais besoin de quelqu’un qui me soutienne, quelqu’un qui soit là pour moi. Face à ces pétards, j’avais peu à peu perdu ceux qui m’aimaient. J’étais seul. Et dans cette intolérable solitude, j’entendais comme les voix du dehors qui jugeaient la bête apeurée que j’étais à l’époque. Alors Guewen s’est dessiné, cet ami sûr de lui, qui me portait, m’aidait, me soutenait. Cette ombre, cette invention… on dit que le cannabis peut rendre les âmes sensibles schizophrènes ; je ne pense pas l’avoir été. J’avais juste besoin de vous, de votre amour… mais s’attirer la sympathie du Vous est parfois bien trop compliquée.


Alors la plage, l’ange et la lune sont venus me porter secours.


25 décembre 2004,

Le pardon angélique se prend, mais ne se donne pas à ceux qui pensent être rois de briques et d’illusions.

Certains anges s’étreignent, anxieux de citer les visés, mais les anges sont fidèles de cœur à leur aimé.


Cette fille est belle, je crois bien que je l’aime. J’aime son regard et ses mots, la délivrance profonde qu’elle m’inspire. Je m’y vois, moi, je m’y vois dans dix ans avec pour seul bagage l’amour que je pourrais lui porter.

Loin de me perdre moi-même ! ouh, très loin. Je prends conscience du temps qui passe, je prends conscience de beaucoup de choses. Je me sens différent, d’un coup, d’un seul… putain ! le monde est beau, et le monde me plaît ! Je vois un peu, là-bas, je crois voir, ouais, quelques couleurs. C’est illogique, impossible, mais pourtant c’est bien vrai. La Vérité.

Je comprends. C’est tout ce que je pourrais dire. Je comprends. Comme un ressenti sincère de mes propres actes. Je comprends.

Elle m’a embrassé, et j’ai voyagé. J’ai fait le tour du monde, vous ne comprenez-pas ? J’ai vu le ciel, la terre, le monde dans son ensemble. J’étais en vie. Vivant, comme Vérité, comme un V. Je rêve, et mes rêves sont lucides. Ils parlent d’un avenir proche, lointain, peu importe, mais d’un avenir joyeux. Un avenir limpide. Je n’ai plus envie de souffler. Plus envie de lâcher la bride. C’est hallucinant, c’est dingue. Dingue.


5 janvier 2004,

C’est vrai, je te laisse sur le pavé, en ce moment. Je ne passe plus trop par ici, je n’ai plus trop le temps de m’intéresser à ma tête. Cette fille me regarde, et je tombe des nues. Je n’y vois rien de stupide, et c’est bien ça qui m’inquiète.
Je ne crois pas en l’amour… je ne sais plus. J’en doute, j’en doute. Si ce que je vis n’est pas de l’amour, alors l’amour doit être une extase absolue. Un bonheur presque parfait. Une évasion hors du temps, un grand bond dans le ciel qui éveille, renforce, embellit. Je ne sais plus, mais je m’en moque.


18 février 2005,

… je t’ai retrouvé rangé là par hasard, et c’est plutôt sympathique. J’espère que tout va bien pour toi. Moi, de mon côté, je me débrouille plutôt bien. L’imprimerie, j’ai lâché, j’écris pour un journal local. J’ai chopé un stage par hasard, je leur ai plu, ils m’ont proposé l’embauche. Impensable, non ? Et pourtant…

J’ai été heureux depuis, tu sais ? J’ai vu tant de choses. Tant de rêves, de ceux qu’on espérait, de ceux qu’on voulait toucher du doigt. J’ai vu la vie, et la vie m’a pris un instant sous son aile. J’ai pensé à toi, parfois. J’ai été hanté par cette mélancolie sinistre quelques temps. Et puis maintenant, je te vois, comme avant, et j’en rirais presque.

Je suis désolé, je ne veux pas te vexer, et tu sais que je t’aime beaucoup. Oui, je t’aime, je ne te l’ai pas dit, et c’est ça qui nous aura manqué. Le fait de savoir s’aimer. Avoir confiance en ce que j’étais. Je ne m’en suis rendu compte que plus tard.

Avec elle, c’est le bonheur. C’est là que je m’épanouis, c’est là le souvenir de ta disparition subite, le jour où tu as accepté de partir sur cette plage. D’essayer, un instant, de croire en tes rêves oubliés. Ceux de l’amour et du courage.


Alors voilà, je viens te dire au revoir. Au revoir parce que tu ne me verras plus. Je te dis adieu pour de bon, pour de vrai. Je voulais que ça soit solennel, plus sincère qu’un simple regard au coin d’une rue. J’espère que tu ne m’en veux pas, mais c’est nécessaire. Le souvenir de cet appartement, de ce journal, de ma tête même me fend le cœur. Je penserai à toi, je te le promets,


Au revoir, Guewen

mercredi 9 juin 2010

Guewen Raphin #3

Après maintes et maintes péripéties, et face au flot incessant de questions qui vous taraudent, vous, c'est-à-dire pas grand monde, mais peu importe - car, oui, tant pis, voici la troisième partie de l'histoire de Guewen.


V. GUEWEN RAPHIN SERAIT UN ETRANGER ?

9 mars 2002, un peu trop à l’ouest pour voir le lever du soleil

Je suis allé boire un verre avec Jo aujourd’hui. Il m’a longtemps parlé de ses idées sur la cigarette.

« Si, c’est sûr et certain. Ils nous ont, ils nous prennent, et ils font ensuite mine de nous consoler. C’est simple comme bonsoir, vraiment. Regarde : étape une, on arrête la fabrication pour la relayer à d’autres. Ca avantage les deux partis ; le premier gagne du blé, le deuxième se fait de la thune. Etape deux : on taxe, puis on augmente le prix un peu à la fois. La clientèle est d’ores et déjà fidélisée, puisqu’elle devient dépendante. Dix centimes de plus, dix centimes de moins : tu la vois, la différence, toi ? Non, hein. Puis on passe de deux à cinq euros, et personne ne s’en rend compte. On en parle comme d’un enfant : « avant, il était moins… », « c’est dingue, je pensais pas que ça irait si vite… ». Et là, coup de grâce : on lance des campagnes de prévention en disant que tout ça, c’est vraiment pas cool. « Eh, les mecs, arrêtez de jouer avec votre vie ! ». Mon cul ouais ! Bientôt, on l’interdit dans les bars, restaurants, boîtes de nuit, dans les voitures avec les moins de seize ans… si, je te jure ! Et là, paf ! tout prend du sens : c’est pas l’Etat qui est salaud, ce sont les producteurs. Bien sûr, on crache un peu sur la politique, à coup de « ils se font plein d’argent avec les taxes, ça les arrange ». Mais personne ne lie directement les deux. Et c’est pareil pour plein de trucs ; ils nous baisent par intermédiaire. Tout le temps.

- Et si les politiques étaient vraiment trop cons pour faire ça volontairement ? Si toute ta théorie était fausse ? Si c’était clairement autre chose ? Tu ferais quoi ?

- Ma théorie, elle est pas fausse. Elle est novatrice. Personne ne s’en doute, mais moi je le sais.

- Mec, tu débarques, ça fait une plombe que tout le monde se passe le mot. C’est pas important, au final, qu’on se fasse baiser ou non. L’important, c’est : pourquoi, toi, tu fumes ?

- Moi ? Parce que j’aime ça ! Ca me permet de souffler, c’est bien toi qui dit ça tout le temps, avec tes étoiles et ton pétard !

- C’est sûr. Sauf que je craque pour m’évader. Toi, tu fumes mais ça te cloue sur place. Ca t’arrête dans ton élan. Tu te mets à frimer sans te rendre compte que tu pues de la gueule. Si la clope rendait meilleur, on s’y serait tous mis, non ?

- Pareil pour le pet’, non ?

- Bien vu. Mais c’est là que tout devient crucial : tu te fais avoir par ton gouvernement à partir du moment où tu acceptes l’amalgame qu’il te propose. La cigarette, elle s’associe au quotidien. Tu vois des pubs sur les accidents de la route, l’alcool, le cancer, la capote… et l’arrêt de la clope. Le problème n’est pas de savoir quel argent se fait l’Etat, l’important c’est de savoir là où on te piège réellement. »

« Toi, ton paquet, tu le paies, et basta. Ca coûte plus cher, mais l’augmentation, tu l’acceptes comme quelque chose d’irréversible ; tu en parles, mais tu estimes que c’est la seule chose que tu puisses faire. Rêver que les prix soient plus bas. Tu en as envie, et tu le souhaites, mais tu penses que ça n’arrivera pas. Alors tu te résous au tarif, ou tu passes la frontière. Rien n’est remis en cause. Ce ne sont pas les politiques qui te troublent, c’est toi-même, parce que tu es trop influençable pour y voir clair. Et nous sommes tous touchés par ça. Pas de pouvoir sans religion, sans commerce, sans communication, sans peur. Ca grandit les choses, et que ça effraie ou que ça révolte, ça semble impossible à détruire, à faire tomber de son trône ; les politiques se passent le flambeau, améliorent ou détériorent, mais ils ne font que traverser une salle, de laquelle ils gouverneront quelques temps. C’est le Léviathan qui te manipule, cette entité monstrueuse que l’Homme a lui-même créé. »

« Ce sont tes contemporains qui te bousculent, tes contemporains qui t’engloutissent, eux encore qui te volent, te tuent, t’aiment ou te détestent. C’est le propre de notre existence. Le débat ne se situe pas sur les classes, sur l’âge, le degré de pouvoir ou le prix de la cigarette. C’est sur nous que nous devons jeter un regard, sur toi et ceux qui t’entourent. Si le monde ne nous plaît pas, c’est une faute commune : parce nous sommes humains. Parce que c’est dans notre nature propre. »

« Tu pourras passer ton temps à cracher sur plein de choses. Tu pourras passer ton temps à être insatisfait de ce qui t’entoure. Mais personne ne changera jamais la planète ; excepté son peuple tout entier. Et ça arrive ! on appelle ça la « guerre ». »

« Alors contente-toi de toi-même et de ton entourage. Et dans ce domaine, la maxime à respecter pour atteindre la sagesse est : « ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse. »


En réalité, Guewen fumait parce qu’il avait peur. Peur de lui-même face aux autres. Il était conscient de son statut, de la tâche qui lui incombait… mais il n’était pas capable de faire face. Le monde, ces autres, tout ça le détruisait. Au jour le jour, il essayait de s’accrocher aux rambardes de ce train qui roulait déjà trop vite pour lui. Il tentait vainement, et il y avait déjà laissé ses rêves et ses passions. Tout s’était envolé, du jour au lendemain. Tout avait disparu. Cet univers si gris, si morne à ses yeux l’avait achevé. Il voyait les choses comme elles étaient, dans toute leur vérité. Il voyait la couleur, les sentiments, l’amour… mais rien ne brillait plus.


VI. La triste vie en filigrane

Se finira bien sans dommages

Dans ce carnet, j’ai pris un peu de tout. J’ai pris le bon, le moins bon, j’ai surtout pris Guewen et ce qui m’a fait repenser à lui. C’est sûr, c’était un personnage complexe. Complexe et déphasé ; un peu à la masse, parfois lent à saisir, souvent buté sur ses idées. Il ne pensait pas avoir raison, mais il espérait être dans le droit chemin.

Cet appartement, c’était un endroit plutôt bien fait pour nous deux, mais il manquait une chose. Une chose essentielle pour apporter la sérénité, la tranquillité, comme une espèce de bonheur qui planerait là, inconscient et béat, qui nous regarderait dormir ou petit-déjeuner en chuchotant avec passion : « je vous protège ».

Et comme Guewen n’était pas champion en la matière, on manquait d’amour.


23 mai 2002, tiens, un rhinocéros…

« A vous l’honneur, Messieurs sans cœur. »

A tous ceux qui veulent prendre la plume, je vous conterai mon infortune ;

Trop de mots qui n’ont pas de sens pour exprimer ce que je pense de tout ça.

Des arbres, des chants, du cul, du train ; train quotidien qui nous embarque.

Ces pensées viles, involontaires, volant telles des missives dans l’air,

Je vous conterai ma solitude ; trop de maux qui détruisent mon sang,

Envahissant les nuits d’argents.

A tous ceux qui veulent prendre la plume, si vous en avez le culot,

Visez ma tête : et sans rancunes.


Alors oui, peut-être que l’amour est conceptuel, affligeant, morose et dure trois ans, mais peu importe. Qu’importe.

L’amour, c’est, bien plus que tout ça, c’est l’expression de sentiments humains sincères, aimants, droits et francs. L’amour nous ôte le vêtement de l’hypocrisie : nous y prenons tout notre sens, happés, avalés, bouffés ; et à aimer l’autre, on se trouve soi-même. C’est une déclaration qui vient de ce qu’il y a de plus profond en nous. Des choses inconnues qu’on finit par puiser par hasard lors de soirées d’été. C’est stupide, affligeant, morose, mais c’est bien ça qui fait sa beauté. Nous haïssons l’amour parce qu’il fuit devant nos pieds.

Apparaît alors la quête de l’être aimé. Une quête qui peut s’avérer longue, bien plus longue et plus sacrée que celle du Graal. Et, errant ainsi à la recherche de la personne qui nous transcendera, on ne recherche rien d’autre que soi-même. D’où la question d’une immanence de l’égoïsme le plus profond chez chacun d’entre nous.

Eh ! les poupées, elles aussi, luttent pour leur survie. Ce sont même les premières ! Elles tremblent, elles frémissent, elles sentent tout ce poids sur leurs épaules. Alors les poupées se fardent, et se fardent trop. Elles se maquillent silencieusement, jour après jour, très doucement. Elles prennent leur temps, inconsciemment, et se fondent dans la masse. Puis y disparaissent.

Si Guewen et moi avons pu grandir ensemble, c’est parce que nous étions tous les deux dans le doute. Perpétuellement. On manquait cruellement de confiance en nous. Et on en manquait parce que votre univers nous effrayait. Il nous troublait ; on ne le comprenait pas. On était des « marginaux involontairement marginaux » ; des MIm.


MIm, comme mi mineur, un peu notre tonalité d’accroche. C’est un son qui se joue souvent, le mi mineur. Le rituel, l’habitude… on le retrouve pas mal. C’est le son de la morosité. Plat. Lent. Mais profond, aussi. Et empreint d’un certain parfum maritime. Une plage en pleine nuit, par exemple. Là où le ciel d’un bleu furieusement rempli d’espoir côtoie des centaines d’étoiles pétillantes. Là où le vent souffle, transmet, apporte et emporte, change, embellit ou mystifie. Là où la mer, tranquille, rappelle sa grandiloquence, sa puissance et sa force.

Belle, la mer, si belle. On s’y sent bien, à côté. Elle berce de ses grands bras, et tout m’emporte, m’emmène, me rappelle simplement que j’existe. Elle soulève en moi un espoir nouveau, l’espoir d’une aube nouvelle, d’un soleil qui apparaîtra doucement à l’horizon pour signifier que oui, il y aura des lendemains, et ils seront beaux.

C’est le calme qui précède la tempête, la sérénité qui précède à la naissance, la tempête de la naissance qui se dessine. C’est la mort, la vie, et tout en même temps ; tout l’univers résumé dans cette plage nocturne. C’est toute ma vie qui s’y déroule, mon existence qui s’y consacre. C’est moi, et c’est aussi Guewen.

Enfin, voilà, ma vie n’apportera rien à personne, on pourrait le dire. Mais peu importe ; je brillerai pour vous comme je brille pour moi. Vous verrez dans mes yeux comme un air de défi, et l’on pensera : « A-t-il perdu la vue ? »

jeudi 3 juin 2010

Guewen Raphin #2

Et s'y joint la suite, car elle ne pouvait vivre avant... et pourtant ?


III. Les folles courses du temps

Bouleversent mon cœur bringuebalant


23 janvier 2001,

Je ne me rappelle plus très bien de cette soirée, mais je me souviens que j’étais défoncé. « Est-ce dangereux ? » demanderez-vous si vous êtes sceptique. « C’est dangereux », direz-vous si vous êtes français.

Mais la distinction n’est pas là. Le danger n’importe pas ; c’est le plaisir qui existe. Alors, vous devriez demander : « Est-ce bien ? ». Mais vous ne le faites pas.

La peur vous ruine et vous ausculte ; vous vous figez pour gagner du temps – qui est, rappelons-le à juste titre, de l’argent. C’est dur… alors vous trouvez votre plaisir là où vous le pouvez. Dans la consommation, dans l’achat de bidules inutiles, ou de machins pas chers. D’autres boivent ; d’autres baisent ; d’autres boitent.


26 janvier 2001, oh le beau temps

J’ai vu Léa aujourd’hui.


« Je ne peux pas tout pardonner.

- Moi non plus.

- Alors on se quitte.

- D’accord. »


Je me souviens surtout de ça, en fait. « D’accord ». Comme une façon de répondre à ma provocation : « toi tu plaisantes, mais moi pas ». « Adieu », en quelque sorte.

Elle m’aura quand même fait mal au cœur, avec tout ça. Je suis déçu, mais pas désabusé.

Je cherche l’âme sœur que nous avons tous, mais elle me coule entre les doigts. Je vois passer tant de filles, partout. Mais aucune ne me fait vibrer. Même pas un tremblement. Pas un souffle. C’est désespérant. Je commencerais presque à réfuter mon aimabilité. La vie est triste, mais c’est la vie, hein. Et puis pas de quartiers pour les grisés. Pleurons chaudement, pleurons encore.


Il ne pleurait pas beaucoup, mais le soir de sa rupture avec Léa, il est allé à l’encontre de sa nature. C’était triste, mais beau en même temps… j’ai longtemps pensé qu’il n’avait pas de cœur, ou du moins qu’il était insensible à toute douleur. Mais ça le touchait vraiment.


« Tu n’y crois pas ? Mais pourquoi, alors ?

- Parce que toute personne a besoin d’être aimée et d’aimer.

- … alors c’est juste un passe-temps ? Un réconfort personnel ?

- Pas du tout : je suis avec cette fille comme je suis avec moi-même. Je ne lui mens pas, et elle le sait. Elle sait aussi que je l’aime.

- Ca ne suffit pas. Aimer, ça se fait de toutes ses forces. C’est bien la seule chose que nous ayons de bon, Guewen !

- Hé, tu me ferais presque rire ! »


C’est vrai qu’il ne croyait pas en l’amour. Il ne croyait pas en grand-chose, à vrai dire. Il semblait fade à beaucoup de gens. Fade, et froid. Comme détaché de tout ce qui compte vraiment pour nous. Je ne soutiens pas l’idée que Guewen était un sage, puisqu’il ne l’était clairement pas. Certaines de ses convictions me faisaient vomir, et son comportement n’était pas toujours calqué sur celui d’un homme bon. Il avait ses défauts. Moi, ce sont surtout ses idées qui m’ont retenu au début. Mais au bout d’un moment, je pensais me lasser déjà…


IV. Les anges sont fidèles

C’est dingue les goudrons qu’on avale en fumant un pétard. Mais même le plus accro des accros s’en fout. Je n’ai jamais compris ce que tous ces gens trouvent de formidable à ce truc. La défonce ? C’est vite lassant. La réflexion ?

La réflexion. « Think different ». Belles théories, grands mots, Bob Marley qui l’annonce, et nous voilà tous partis planter. Il y a deux façons de voir les choses, et à mon avis, il est préférable que je vous expose chacune de ces hypothèses.

Certains penseront que la beuh est un véritable fléau. Que la drogue tue, et que l’alcool n’en est pas une. Nous imaginerons ces toxicos, à défaut de les voir. Puis, nous en verrons, et nous seront confortés dans notre choix. Que ces gens ont l’air triste ! Mon dieu.

Et puis d’autres se diront que le cannabis a toujours fait partie de l’histoire. Depuis des milliers d’années, il a toujours offert une échappatoire à ceux qui rêvent d’un monde différent. Ceux qui s’y ennuient, ou ceux qui n’y trouvent pas leur place.

En connaissant Guewen, je suis passé d’un statut à un autre.


14 août 2004, quand l’altérité vous détruit, pensez « altérité »

L’Homme m’a longtemps déçu. C’est très misanthrope, très égocentré, mais je tiens à préciser que je m’inclus dans ce groupe animal.

C’est dommage de voir à quel point ces bras mécaniques, que nous avons mis des centaines d’années à mettre au point, ne servent pas notre élévation spirituelle.

Loin de penser à Dieu, ouh, très loin ! les questions de religion ne m’intéressent pas. Et puis je n’ai pas envie de rire pour l’instant.

Les Platon, les Lucrèce ou les Aristote ont notre âge. Ils nous précèdent de deux mille ans, et ils sont pourtant aussi évolués que nous. Regardez-les, ils réfléchissent déjà à des thèses que nous exploiterons encore maintenant. C’est putain de fou !

Pardon pour mon emportement démesuré, mais la perspective de les voir un jour nous apprendre le sens de la vie me fait sourire ! Plus important que leurs théories, c’est le fait que nous n’ayons pas réfléchi sur nous-mêmes qui me sidère. Qui me donne la rage. C’est fou.

Nous avons passé du temps à construire notre confort et notre environnement, mais les sciences humaines sont une discipline bien trop récente. C’était un peu « se détourner de sa misère » comme dirait l’autre. Bien dommage.

Je ne crois pas en un Homme bon, non. Je crois en un Homme qui se veut perfectible. Qui a la volonté de devenir « meilleur ». Vos lois sont fausses, mais il faut des lois. Comme il faut un cadre. Parce que certains ne suivent pas des idéaux de noblesse. Et ces gens ne sont pas à maudire ! Les maux se produisent parce que les mots changent pour chacun d’entre nous. Tout le monde voit la vie à sa manière. Le mal et le bien ne sont pas des notions objectives.

Alors voilà, j’aurai beau appeler à l’aide, jamais personne ne viendra. Il y aura dans l’air comme une torpeur, comme un vague murmure. Et on dira : « C’est intéressant ».

Et peut-être aura-t-on raison.


« Le pardon angélique se prend, mais ne se donne pas à ceux qui pensent être rois de briques et d’illusions.

Certains anges s’étreignent, anxieux de citer les visés, mais les anges sont fidèles de cœur à leur aimé »


J’y aurai vu du sens à ce poème, si je l’avais compris plus tôt. Logique, mais tellement logique. Il ne suffisait pas de chercher, il fallait aussi connaître le personnage. Il allait de pair avec ce carnet, puisque c’était sa tête même qui en était l’encrier. C’était ses idées, son monde, et tout ça il le voyait grâce à ses drogues. Les artistes sont comme ça… ils nous séduisent parce qu’ils nous parlent d’un « ailleurs », d’un autre part. De la possibilité de s’arracher pour quelques instants à une existence trop morne. Nous avons tous vécus là-dedans, comme bercés par un trop plein d’imagination. Du genre fébrile.