jeudi 11 juin 2009

"Grandir, oui, mais pour quoi faire ?"

J'ai appris beaucoup de choses cette année.

C'est un peu comme revoir des photos de soi qui datent un peu et se dire "oh, ça pourrait être mon petit frère". C'est aussi s'imaginer dans dix ans, encore un peu plus vieux, les mêmes mots à la bouche. C'est prendre conscience de la construction qui s'opère en nous, de notre naissance jusqu'à notre mort.

Cette année, j'ai sauté de mon plongeoir, mais c'est seulement en me cassant les deux jambes que j'ai compris qu'il n'y avait pas d'eau dans la piscine. Ou comment se tirer une balle dans le pied, quand on a un revolver, mais je manque de moyens.

J'ai appris qu'il était impossible de vivre sans argent dans une société contemporaine. On me dira certainement que tout le monde est au courant, et que mes préoccupations narcissico-égocentriques finissent par lasser. Peut-être. Toujours est il que j'y arrivais bien, à vivre sans thune, mais je vivais seul. Pas de sortie, pas de visite, pas de "on va boire un coup ?" ; "on se fait un ciné ?" ; "on mange ensemble ce midi ?". Pas de sandwich à la fac, pas de café le matin, rien que le frigo où trônaient fièrement un tube de sauce tomate et des restes de beurre.


"Je travaille pour des animaux", c'est un peu ça aussi. J'ai pris conscience que le monde était tout sauf ce que j'avais pu en rêver. La plupart des usagers de la vie l'empruntent comme le métro. Ils poussent, bousculent, veulent rentrer, parce qu'à deux minutes près, la correspondance du boulot s'éloigne, et font malencontrueusement tomber leur sourire entre les rames. J'ai appris que l'hypocrisie était universelle, et que la générosité était à laisser au placard. Je n'y suis pas arrivé, et on m'a gentiment demandé d'attendre la rame suivante, puis celle d'après. Fin de service.

J'ai trouvé le doux équilibre entre le plaisir, le désir, la douleur et la tristesse. Après mes dures années de labeur, ma fatigue constante, j'ai pris le parti de me reposer quelques mois. Je ne devais au départ que piquer un somme, mais j'ai vite fini par m'endormir sous une couverture faite d'effluves opaques et de rêves profonds. Le réveil avait beau sonner, je l'éteignais pour dormir "encore un peu".
Et puis, quand tous mes rendez-vous ont été loupés, je me suis levé pour prendre conscience du désastre. On peut vaincre sans mérite et triompher sans gloire, peu importe, ce ne sont que des adages destinés à la branlette sociale ; mais il n'est pas possible de s'en sortir sans suivre les règles du jeu. Dans un autre monde, j'aurai pu avoir ce quotidien décalqué toute ma vie, regarder les jours passer sans me sentir pressé.

Cet univers-ci demande des sacrifices.

Il demande de rentrer dans le rang, de suivre la norme, de savoir présenter. Forcé de quitter mon territoire doré, j'ai commencé lentement à ranger mon appartement, à reconstruire ce que j'avais détruit. Aujourd'hui, je suis sûr le point d'y arriver, en me demandant intérieurement comment j'ai pu réussir à tenir le coup.

J'ai appris que la vie n'était jamais faite de ce qu'on voulait, et que, forcé de se plier aux exigences de ce qui nous tue, il fallait devenir ce qu'on n'était pas. Une machine programmée pour faire partie d'un tout.
J'ai appris que l'individualisme n'existait que dans les esprits ; nous ne sommes pas des individus, nous sommes des entités créatrices, fonctionnelles, des engrenages qui font tourner la boîte ou sont rebutés.

Se lever le matin, se faire rabrouer et se tuer à la tâche pour mourir le soir est une destinée qui ne m'enchante guère, mais me voilà forcé d'opter pour ces deux semaines de vacances par an et un ulcère à Noël.

Et puis, fort de mes apprentissages sur la bassesse de l'Homme, j'ai considéré les miennes. Ce que j'étais, ce que je n'étais pas, ce que je voulais être et ce que je ne pourrais pas devenir. J'ai détruit mes bases pour reconstruire. J'ai perdu le peu de confiance en moi que j'avais, et, sous le poids des regards, je ne faisais plus long feu sur les trottoirs. J'étais une âme en peine, une ombre dérisoire, de ceux sur lesquels on marche sans les regarder. En me réveillant, je leur en ai beaucoup voulu, à tous ces gens. A tous.

Mais, en me reconstruisant, j'ai compris qu'ils avaient déjà opté pour leur rôle d'andropode cybernétique. Des machines, voilà, tous des machines. Et regardez-les ! des belles, avec deux yeux vides, qui vous lancent des "bonjour" rouillés et saccadés. De ces machines qui font le monde, de celles qu'on admire au coin de la rue, habillées de tailleur ou de costard. Je les ai enviées, celles-là, et puis je me suis rendu compte qu'elles ne vivaient plus.
J'ai appris que la vie était ce qu'on en faisait, et qu'à défaut de rentrer dans le lot, on pouvait tenter de prendre un autre chemin, celui de l'honnêteté. Pas financière, sociale. En ne jouant pas un rôle, en étant soi-même.

Avec soi, avec les autres.

Tant pis pour les occasions que ça me fera rater.

Et, dépité mais confiant, j'ai compris que je ne pourrais jamais être aimé par tout le monde. Mes réflexions sur l'Homme avait déjà été amorcées depuis longtemps, mais un autre évènement m'a permis de changer d'avis, de classer l'être humain non pas comme "mauvais" mais comme "faible".
La trahison est une des grandes douleurs de notre siècle. Quand elle vient d'un anonyme, elle engendre haine et vengeance, mais quand c'est un proche qui vous poignarde, elle laisse place à un désemparement total, et un dégoût incalculable pour tout ce qui se rapproche au Judas.
Quand la lame a traversé ma chair, je me suis dit que ce n'était rien. La blessure ne semblait pas profonde, et celui qui tenait le couteau possédait une lueur de folie dans les yeux que rien ne semblait pouvoir arrêter, si bien qu'il ne m'apparaissait plus comme proche. J'ai nié en souffrir.

Et, au final, la haine s'accumulant, j'ai commencé à développer un complexe de jalousie vis à vis de lui. Car, fort de son succès au combat, il avait ameuté autour de lui la foule inquiète, et, me quittant, presque mort sur le sol, il leur avait annoncé, dépité, que j'étais moi-même l'auteur de la querelle, et que le pauvre bougre ne m'avait blessé que dans une situation d'auto-défense. Embarquant sur son navire ceux qui le croyaient, il repartit fièrement vers des horizons qui lui étaient plus familiers. J'étais déçu, parce que j'avais toujours été pris pour le manipulateur froid et mauvais ; lui pour le bon bougre compréhensif et généreux, alors que les rôles s'inversaient. Je me suis rendu compte que je n'étais pas un bon calculateur - ce qui m'a, en aparté, un tant soi peu réconforcé : si je ne possède pas le sens du calcul, je pourrais difficilement devenir une machine.

Aujourd'hui, j'ai compris qu'il n'y avait pas de justice en ce monde, et que la haine n'était que le starter qui permettait un nouveau démarrage. Une fois reparti, j'ai laissé de côté ma rancoeur, car rien n'aurait pu combler ma rage et ma frustration. Celle de voir le salaud l'emporter sur le naïf, alors même que tous les élements l'accusaient. Celle de voir les jurés se lever sans un regard pour moi, quittant la salle avec le meurtrier innocenté. Celle d'être laissé seul, sans une main, sans une aide, sans un mot d'excuse.

Je suis reparti de mon côté, porté par ma volonté. Et, au fil du temps, j'ai compris que la justice était une notion qui s'appliquait à chacun. Dénué de remords, je savais que je ne portais pas la faute.
Serein vis à vis de ces évènements, les regards que j'ai pu jeter sur mon ex-coloc m'ont fait comprendre que je n'avais rien à lui envier. Sa lâcheté et son arrogance, son aveuglement et son égoïsme, il les paiera un jour, ou un autre s'en chargera à ma place.

Cette année, j'ai surtout compris que l'Homme n'était pas mauvais, mais qu'il était faible. Sans principes, apeuré, l'animal, poussé par ses instincts, ne pense qu'à fuir, en laissant parfois derrière lui ses compagnons. Faible, et lâche, l'animal.

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A l'heure actuelle, je ne suis peut-être pas devenu apte à vivre de façon indépendante en société, mais je suis sûr d'une chose : c'est que je reste fidèle à des principes, à une morale, et c'est mon attachement aux lois que je m'impose qui fait de moi quelqu'un de stable et de loyal. Après avoir traversé la tempête, je sais que je peux en affronter des dizaines d'autres et que, même si je ploie, je ne cèderai pas. J'espère que tout ça fera de moi, dans plusieurs années, un adulte, un vrai.
De ceux qui ont un fil directeur, et qui ont grandi en s'ouvrant au monde.
De ceux qui savent endosser leurs responsabilités, porter les autres et tenir le cap.
Quelqu'un d'ouvert et de tolérant, qui accepte de se remettre en cause, et qui possède un goût critique et artistique.

Pour l'instant, vous me nommez administrativement "adulte", mais je ne sais pas remplir de papiers, ni trouver du travail, ni briller en société. Peu importe que je sois fait pour vivre chez vous ou non, je m'y ferai bien.

Mais je n'ai pas attendu votre autorisation pour grandir, et, à dire vrai, je m'en porte beaucoup mieux comme ça.

Parce que regarder tout ce foutoir est déjà un beau spectacle.

mardi 9 juin 2009

Alors la nuit quand je dors...


Il y a dans les sourires et les rires une teinte de légèreté. Dans les regards et les questions, une teinte de désintérêt. Dans les rapports, l'amitié, l'affection, une teinte d'ennui.

Vous êtes certes empathiques, mais loin d'ouvrir votre conscience à celle des autres. Qu'importe le pourcentage de communication non-verbale, il vous est trop difficile de changer de peau. La votre vous plaît tant, cette douce chaleur, votre vie, vos idéaux, votre façon de surmonter les problèmes et d'apprécier le bonheur... alors vous estimez que ce qui vous semble logique l'est aussi pour les autres, qu'un problème qui vous est anodin ne peut pas être important aux yeux des autres. Vous ne comprenez pas toujours ce qui se passe hors de vous.

En changeant de peau, vous pourriez écouter. Vos sens vous trompent en permanence, et vous estimez, en plus, que vos bases sont solides. Vos yeux vous mentent, et pourtant vous pensez pouvoir lire en quiconque.
Les mots que prononcent vos semblables ne vous atteignent qu'un instant, puis disparaissent au fond de votre petite tête.
Les sensations, l'état d'esprit sont pour vous classés en catégories simples : "heureux", "triste", "déprimé", "sombre", j'en passe et des meilleures.

Mais personne n'est jamais "plus" que vous. Bien sûr, vous en parlez à d'autres, et plaignez un tel, le dites malheureux. Et au fond, vous vous accablez vous-même pour tenter de le dépasser.

Vous êtes égoïstes parce que dénués d'intuitions et de capacités de compréhension. Vous êtes butés parce qu'incapables d'avouer vos torts. La société valorise vos actions concrètes, et, dès lors, votre chemin de vie vous rend fier et arrogant. Vous êtes reconnus, et le message est clair : "j'ai des capacités qui m'ont permis d'arriver là. Je suis fort."

Et puis vous êtes foutus, de simples enveloppes bonnes à jeter, de ces pions qu'on croise dans les bars, les places publiques ou les supermarchés. Vous devenez bons à rien, bons à vivre, bons pour vous. Vous terminez un peu à la fois de vous bâtir votre carapace, votre petit personnage, que vous prendrez par la suite bien soin d'entretenir.

Mais dès le début, vous avez été guidés, entretenus, orientés vers un caractère. Dès votre naissance, vous étiez prédisposés à devenir ce que vous êtes aujourd'hui. La construction d'un Homme s'opère pendant une durée indéfinie, mais, généralement, après avoir quitté le lycée, la plupart d'entre vous s'estiment "adultes" et endossent leur rôle de "plus de 18 ans" avec fierté. Votre "moi social" grandit trop vite, engloutit ce qu'il restait de vos remises en causes, et parce que vous brillez dans la vie, vous pensez être aptes à juger le monde entier. Vous êtes l'un des pions du beau jeu d'échec qui vous prend sous sa coupe, et, finalement, vous entrez en souriant dans la gueule du loup.

J'apprends au jour le jour à découvrir des gens vrais. Il y en a peu. De ceux qu'on dirait "anti-conformistes", appellation péjorative et marginalisante. Je ne vous parle pas ici de ceux qui se cachent derrière ce titre parce qu'il appartiennent à des mouvements eux-même suiveurs, comme nos amis à crête et chien, ou encore ces adeptes du A triangulaire.
Non, les vrais anti-conformistes ne sont pas à part, ne se cachent pas, ne vous semblent pas étranges.

Parce qu'ils sont assez conscients des normes qui vous étouffent pour passer la tête au-dessus de l'eau sans en sortir totalement. Ils sont dissimulés dans votre société, attendent patiemment le jour où ils pourront vous exhorter à l'action, et, en attendant, se servent de vous à leurs fins.

Et si vous écartez ces gens de votre entourage, c'est parce que votre empathie vous force à les craindre. Vous en avez peur, car, inconsciemment, vous les savez dominants. Et ils le sont.
Vous ne les comprenez pas, justement parce qu'ils ne sont pas soumis aux mêmes règles que vous. Et par dessus le marché, vous estimez avoir une longueur d'avance sur eux, parce que vous vous adaptez mieux à cette société qui les ennuie tant.

Et au final,

Il y a dans vos réflexions une teinte de légèreté,
Dans vos paroles une teinte de désintérêt,

Dans ce que vous êtes, une teinte d'ennui.