lundi 16 février 2009

Récits et nouvelles - Partie 1

"Dis, papa, est-ce que je suis plus fort que Superman ?"

Cette phrase, il l'avait entendu des centaines de fois.

"Pourquoi tu me demandes ça ?
- Ben, ça serait vachement marrant !"

Son fils avait 7 ans, travaillait mal à l'école et venait de rentrer dans la nouvelle vague d'enfants touchés par la mode des super-héros. Il avait toujours refusé de lui offrir un costume de Superman, alors Marc s'en était fabriqué un lui-même. Son masque de carton lui cachait le visage en permanence, et le drap qu'il portait sur le dos était grossièrement peint à la peinture, à tel point qu'à quelques endroits, le blanc original contrastait avec le rouge délavé.

"Et là, tu fais une addition ou une soustraction ?
- Euh...
- A ton avis, regarde, la croix ça veut dire quoi ?
- Euh..."

Marc était un enfant non désiré, dans le sens où il avait conçu involontairement. Daniel avait 20 ans à l'époque, son ex un peu plus. L'enfant était né, la mère s'était enfuie, le père tenait bon. Sa vie avait changé du tout au tout, mais la bouille de son gosse le ramenait à chaque fois vers la réalité. Pas très belle, la réalité.

Au chômage, touchant quelques allocations, Daniel ramait pour offrir à Marc une vie décente. Il ne voyait plus sa famille, ni ses amis. Tous l'avaient quitté les uns après les autres, silencieusement, sans explications. Certains s'étaient même permis de reprocher son égoïsme et sa lâcheté à celui qui donnait tout à un autre. Son père n'avait jamais compris la volonté de son fils de garder l'enfant ; sa mère suivait, mais lui envoyait quelques billets de temps en temps. Une dernière main tendue au milieu du vide.

Daniel se contentait de sa vie ; il ne pourrait jamais remercier Marc pour tout ce qu'il avait fait involontairement : arrêt de la cigarette, de l'alcool à foison, et des drogues toutes plus dures les unes que les autres. Même si plus aucun plaisir, plus aucun espoir de changement ne se profilait à l'horizon, Daniel avait un but : son fils.
Il était devenu un père célibataire typique, se levait, emmenait Marc à l'école à pieds, et rentrait chez lui. Leur seul luxe était un vieux PC qui ronflait comme un vieux chat enrhumé, permettant à Daniel de chercher du travail et de poursuivre son seul rêve : l'écriture.

Le jeune père avait commis l'erreur de quitter l'école à 16 ans ; il était sûr de ses capacités d'écrivain, et même ses professeurs l'avaient encouragé à suivre cette voie. Depuis, il n'avait rien publié. Des dizaines de manuscrits traînaient dans ses armoires, attendant d'être expédiés à un éditeur quelconque. Et Daniel attendait. Il ne regrettait pas son choix, parce qu'il savait que travailler comme quiconque l'aurait tué. Il préférait vivre dans des conditions précaires plutôt que de se tuer à la tâche. Quant à son fils, il semblait avoir hérité du même défaut. Ses notes étaient faibles, et il n'avait dû son passage en CE2 qu'à de bons résultats au dernier trimestre.

Chaque jour, Daniel s'installait sur le bureau usé de sa chambre et pianotait des heures entières sur le clavier de l'ordinateur. Il rêvait. De paysages aveuglants, de héros mélancoliques, de l'amour insaisissable et de la tristesse qui l'embrassait. Ces mondes étaient les siens et surtout les seules marques de ses capacités. S'il avait eu un peu de chance, il aurait pu naître dans une bonne famille, ou rencontrer un éditeur par le biais d'un oncle fortuné ; il savait qu'il avait les capacités d'écrire un best-seller, et même plusieurs, de devenir l'un de ces artistes "multi fonctions" ; qui écrivent, chantent, dansent, et travaillent sur des plateaux de télévision.

Mais Daniel ne croyait pas en la chance.