jeudi 10 décembre 2009

"Tu vois un rat, un port ? Alors pas de rapport"

L'immensité nuageuse me ferait presque frémir,

Les jours se suivent, les jours sont les jours, après tout. Ca serait ce qu'on appelle la "vie", ou un truc comme ça.
Dans cette "vie", ou truc comme ça, il faut s'accrocher. Suivre le mouvement, adopter le rythme, ne pas être seul et plein de trucs comme ça.

Faut en vouloir ! sinon, la vie, elle vous bouffe. Désespoir, autarcie, solitude, sont des mots à jeter sous le pavé. Le pavé, on le prend, et on martèle tout ça jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'une bouillie.



La bouillie, on peut la donner aux cochons, si on veut. Ou on la garde en souvenir, mais c'est une mauvaise idée.

Dans la vie, on peut décider de s'asseoir, de savoir, de saigner. Ca fait trois mots en S, un peu comme Stupide, ou Super. A vous le choix.

Le choix, on peut le donner aux cochons, si on veut. Ou on le garde au chaud, précieusement, en attendant l'occasion où il se révélera vertueux.

La vie, c'est souvent dur, rarement joyeux. Il faut 5 idées positives pour en effacer une seule de négative, vous imaginez le boulot ? C'est pas facile de trouver des pensées positives ("youpi j'ai fait la vaisselle" ? "cool je prends le métro" ?)

Le plus simple, c'est de ne pas laisser entrer du tout les idées négatives. En fait, les filtrer. Voilà, en prendre une ici, une là, pour se donner une petite idée du désespoir et se dire "en fait, ça va pas trop mal".

La vie, c'est un état d'esprit ; on l'appréhende comme on peut, mais l'appréhender avec le sourire peut se révéler gratifiant.

Voilà pourquoi j'ai un humour de merde.

jeudi 11 juin 2009

"Grandir, oui, mais pour quoi faire ?"

J'ai appris beaucoup de choses cette année.

C'est un peu comme revoir des photos de soi qui datent un peu et se dire "oh, ça pourrait être mon petit frère". C'est aussi s'imaginer dans dix ans, encore un peu plus vieux, les mêmes mots à la bouche. C'est prendre conscience de la construction qui s'opère en nous, de notre naissance jusqu'à notre mort.

Cette année, j'ai sauté de mon plongeoir, mais c'est seulement en me cassant les deux jambes que j'ai compris qu'il n'y avait pas d'eau dans la piscine. Ou comment se tirer une balle dans le pied, quand on a un revolver, mais je manque de moyens.

J'ai appris qu'il était impossible de vivre sans argent dans une société contemporaine. On me dira certainement que tout le monde est au courant, et que mes préoccupations narcissico-égocentriques finissent par lasser. Peut-être. Toujours est il que j'y arrivais bien, à vivre sans thune, mais je vivais seul. Pas de sortie, pas de visite, pas de "on va boire un coup ?" ; "on se fait un ciné ?" ; "on mange ensemble ce midi ?". Pas de sandwich à la fac, pas de café le matin, rien que le frigo où trônaient fièrement un tube de sauce tomate et des restes de beurre.


"Je travaille pour des animaux", c'est un peu ça aussi. J'ai pris conscience que le monde était tout sauf ce que j'avais pu en rêver. La plupart des usagers de la vie l'empruntent comme le métro. Ils poussent, bousculent, veulent rentrer, parce qu'à deux minutes près, la correspondance du boulot s'éloigne, et font malencontrueusement tomber leur sourire entre les rames. J'ai appris que l'hypocrisie était universelle, et que la générosité était à laisser au placard. Je n'y suis pas arrivé, et on m'a gentiment demandé d'attendre la rame suivante, puis celle d'après. Fin de service.

J'ai trouvé le doux équilibre entre le plaisir, le désir, la douleur et la tristesse. Après mes dures années de labeur, ma fatigue constante, j'ai pris le parti de me reposer quelques mois. Je ne devais au départ que piquer un somme, mais j'ai vite fini par m'endormir sous une couverture faite d'effluves opaques et de rêves profonds. Le réveil avait beau sonner, je l'éteignais pour dormir "encore un peu".
Et puis, quand tous mes rendez-vous ont été loupés, je me suis levé pour prendre conscience du désastre. On peut vaincre sans mérite et triompher sans gloire, peu importe, ce ne sont que des adages destinés à la branlette sociale ; mais il n'est pas possible de s'en sortir sans suivre les règles du jeu. Dans un autre monde, j'aurai pu avoir ce quotidien décalqué toute ma vie, regarder les jours passer sans me sentir pressé.

Cet univers-ci demande des sacrifices.

Il demande de rentrer dans le rang, de suivre la norme, de savoir présenter. Forcé de quitter mon territoire doré, j'ai commencé lentement à ranger mon appartement, à reconstruire ce que j'avais détruit. Aujourd'hui, je suis sûr le point d'y arriver, en me demandant intérieurement comment j'ai pu réussir à tenir le coup.

J'ai appris que la vie n'était jamais faite de ce qu'on voulait, et que, forcé de se plier aux exigences de ce qui nous tue, il fallait devenir ce qu'on n'était pas. Une machine programmée pour faire partie d'un tout.
J'ai appris que l'individualisme n'existait que dans les esprits ; nous ne sommes pas des individus, nous sommes des entités créatrices, fonctionnelles, des engrenages qui font tourner la boîte ou sont rebutés.

Se lever le matin, se faire rabrouer et se tuer à la tâche pour mourir le soir est une destinée qui ne m'enchante guère, mais me voilà forcé d'opter pour ces deux semaines de vacances par an et un ulcère à Noël.

Et puis, fort de mes apprentissages sur la bassesse de l'Homme, j'ai considéré les miennes. Ce que j'étais, ce que je n'étais pas, ce que je voulais être et ce que je ne pourrais pas devenir. J'ai détruit mes bases pour reconstruire. J'ai perdu le peu de confiance en moi que j'avais, et, sous le poids des regards, je ne faisais plus long feu sur les trottoirs. J'étais une âme en peine, une ombre dérisoire, de ceux sur lesquels on marche sans les regarder. En me réveillant, je leur en ai beaucoup voulu, à tous ces gens. A tous.

Mais, en me reconstruisant, j'ai compris qu'ils avaient déjà opté pour leur rôle d'andropode cybernétique. Des machines, voilà, tous des machines. Et regardez-les ! des belles, avec deux yeux vides, qui vous lancent des "bonjour" rouillés et saccadés. De ces machines qui font le monde, de celles qu'on admire au coin de la rue, habillées de tailleur ou de costard. Je les ai enviées, celles-là, et puis je me suis rendu compte qu'elles ne vivaient plus.
J'ai appris que la vie était ce qu'on en faisait, et qu'à défaut de rentrer dans le lot, on pouvait tenter de prendre un autre chemin, celui de l'honnêteté. Pas financière, sociale. En ne jouant pas un rôle, en étant soi-même.

Avec soi, avec les autres.

Tant pis pour les occasions que ça me fera rater.

Et, dépité mais confiant, j'ai compris que je ne pourrais jamais être aimé par tout le monde. Mes réflexions sur l'Homme avait déjà été amorcées depuis longtemps, mais un autre évènement m'a permis de changer d'avis, de classer l'être humain non pas comme "mauvais" mais comme "faible".
La trahison est une des grandes douleurs de notre siècle. Quand elle vient d'un anonyme, elle engendre haine et vengeance, mais quand c'est un proche qui vous poignarde, elle laisse place à un désemparement total, et un dégoût incalculable pour tout ce qui se rapproche au Judas.
Quand la lame a traversé ma chair, je me suis dit que ce n'était rien. La blessure ne semblait pas profonde, et celui qui tenait le couteau possédait une lueur de folie dans les yeux que rien ne semblait pouvoir arrêter, si bien qu'il ne m'apparaissait plus comme proche. J'ai nié en souffrir.

Et, au final, la haine s'accumulant, j'ai commencé à développer un complexe de jalousie vis à vis de lui. Car, fort de son succès au combat, il avait ameuté autour de lui la foule inquiète, et, me quittant, presque mort sur le sol, il leur avait annoncé, dépité, que j'étais moi-même l'auteur de la querelle, et que le pauvre bougre ne m'avait blessé que dans une situation d'auto-défense. Embarquant sur son navire ceux qui le croyaient, il repartit fièrement vers des horizons qui lui étaient plus familiers. J'étais déçu, parce que j'avais toujours été pris pour le manipulateur froid et mauvais ; lui pour le bon bougre compréhensif et généreux, alors que les rôles s'inversaient. Je me suis rendu compte que je n'étais pas un bon calculateur - ce qui m'a, en aparté, un tant soi peu réconforcé : si je ne possède pas le sens du calcul, je pourrais difficilement devenir une machine.

Aujourd'hui, j'ai compris qu'il n'y avait pas de justice en ce monde, et que la haine n'était que le starter qui permettait un nouveau démarrage. Une fois reparti, j'ai laissé de côté ma rancoeur, car rien n'aurait pu combler ma rage et ma frustration. Celle de voir le salaud l'emporter sur le naïf, alors même que tous les élements l'accusaient. Celle de voir les jurés se lever sans un regard pour moi, quittant la salle avec le meurtrier innocenté. Celle d'être laissé seul, sans une main, sans une aide, sans un mot d'excuse.

Je suis reparti de mon côté, porté par ma volonté. Et, au fil du temps, j'ai compris que la justice était une notion qui s'appliquait à chacun. Dénué de remords, je savais que je ne portais pas la faute.
Serein vis à vis de ces évènements, les regards que j'ai pu jeter sur mon ex-coloc m'ont fait comprendre que je n'avais rien à lui envier. Sa lâcheté et son arrogance, son aveuglement et son égoïsme, il les paiera un jour, ou un autre s'en chargera à ma place.

Cette année, j'ai surtout compris que l'Homme n'était pas mauvais, mais qu'il était faible. Sans principes, apeuré, l'animal, poussé par ses instincts, ne pense qu'à fuir, en laissant parfois derrière lui ses compagnons. Faible, et lâche, l'animal.

*************
A l'heure actuelle, je ne suis peut-être pas devenu apte à vivre de façon indépendante en société, mais je suis sûr d'une chose : c'est que je reste fidèle à des principes, à une morale, et c'est mon attachement aux lois que je m'impose qui fait de moi quelqu'un de stable et de loyal. Après avoir traversé la tempête, je sais que je peux en affronter des dizaines d'autres et que, même si je ploie, je ne cèderai pas. J'espère que tout ça fera de moi, dans plusieurs années, un adulte, un vrai.
De ceux qui ont un fil directeur, et qui ont grandi en s'ouvrant au monde.
De ceux qui savent endosser leurs responsabilités, porter les autres et tenir le cap.
Quelqu'un d'ouvert et de tolérant, qui accepte de se remettre en cause, et qui possède un goût critique et artistique.

Pour l'instant, vous me nommez administrativement "adulte", mais je ne sais pas remplir de papiers, ni trouver du travail, ni briller en société. Peu importe que je sois fait pour vivre chez vous ou non, je m'y ferai bien.

Mais je n'ai pas attendu votre autorisation pour grandir, et, à dire vrai, je m'en porte beaucoup mieux comme ça.

Parce que regarder tout ce foutoir est déjà un beau spectacle.

mardi 9 juin 2009

Alors la nuit quand je dors...


Il y a dans les sourires et les rires une teinte de légèreté. Dans les regards et les questions, une teinte de désintérêt. Dans les rapports, l'amitié, l'affection, une teinte d'ennui.

Vous êtes certes empathiques, mais loin d'ouvrir votre conscience à celle des autres. Qu'importe le pourcentage de communication non-verbale, il vous est trop difficile de changer de peau. La votre vous plaît tant, cette douce chaleur, votre vie, vos idéaux, votre façon de surmonter les problèmes et d'apprécier le bonheur... alors vous estimez que ce qui vous semble logique l'est aussi pour les autres, qu'un problème qui vous est anodin ne peut pas être important aux yeux des autres. Vous ne comprenez pas toujours ce qui se passe hors de vous.

En changeant de peau, vous pourriez écouter. Vos sens vous trompent en permanence, et vous estimez, en plus, que vos bases sont solides. Vos yeux vous mentent, et pourtant vous pensez pouvoir lire en quiconque.
Les mots que prononcent vos semblables ne vous atteignent qu'un instant, puis disparaissent au fond de votre petite tête.
Les sensations, l'état d'esprit sont pour vous classés en catégories simples : "heureux", "triste", "déprimé", "sombre", j'en passe et des meilleures.

Mais personne n'est jamais "plus" que vous. Bien sûr, vous en parlez à d'autres, et plaignez un tel, le dites malheureux. Et au fond, vous vous accablez vous-même pour tenter de le dépasser.

Vous êtes égoïstes parce que dénués d'intuitions et de capacités de compréhension. Vous êtes butés parce qu'incapables d'avouer vos torts. La société valorise vos actions concrètes, et, dès lors, votre chemin de vie vous rend fier et arrogant. Vous êtes reconnus, et le message est clair : "j'ai des capacités qui m'ont permis d'arriver là. Je suis fort."

Et puis vous êtes foutus, de simples enveloppes bonnes à jeter, de ces pions qu'on croise dans les bars, les places publiques ou les supermarchés. Vous devenez bons à rien, bons à vivre, bons pour vous. Vous terminez un peu à la fois de vous bâtir votre carapace, votre petit personnage, que vous prendrez par la suite bien soin d'entretenir.

Mais dès le début, vous avez été guidés, entretenus, orientés vers un caractère. Dès votre naissance, vous étiez prédisposés à devenir ce que vous êtes aujourd'hui. La construction d'un Homme s'opère pendant une durée indéfinie, mais, généralement, après avoir quitté le lycée, la plupart d'entre vous s'estiment "adultes" et endossent leur rôle de "plus de 18 ans" avec fierté. Votre "moi social" grandit trop vite, engloutit ce qu'il restait de vos remises en causes, et parce que vous brillez dans la vie, vous pensez être aptes à juger le monde entier. Vous êtes l'un des pions du beau jeu d'échec qui vous prend sous sa coupe, et, finalement, vous entrez en souriant dans la gueule du loup.

J'apprends au jour le jour à découvrir des gens vrais. Il y en a peu. De ceux qu'on dirait "anti-conformistes", appellation péjorative et marginalisante. Je ne vous parle pas ici de ceux qui se cachent derrière ce titre parce qu'il appartiennent à des mouvements eux-même suiveurs, comme nos amis à crête et chien, ou encore ces adeptes du A triangulaire.
Non, les vrais anti-conformistes ne sont pas à part, ne se cachent pas, ne vous semblent pas étranges.

Parce qu'ils sont assez conscients des normes qui vous étouffent pour passer la tête au-dessus de l'eau sans en sortir totalement. Ils sont dissimulés dans votre société, attendent patiemment le jour où ils pourront vous exhorter à l'action, et, en attendant, se servent de vous à leurs fins.

Et si vous écartez ces gens de votre entourage, c'est parce que votre empathie vous force à les craindre. Vous en avez peur, car, inconsciemment, vous les savez dominants. Et ils le sont.
Vous ne les comprenez pas, justement parce qu'ils ne sont pas soumis aux mêmes règles que vous. Et par dessus le marché, vous estimez avoir une longueur d'avance sur eux, parce que vous vous adaptez mieux à cette société qui les ennuie tant.

Et au final,

Il y a dans vos réflexions une teinte de légèreté,
Dans vos paroles une teinte de désintérêt,

Dans ce que vous êtes, une teinte d'ennui.

mardi 12 mai 2009

Superman - suite et fin

Le frisson qui parcourut le dos de Daniel aurait eu l'intensité d'un tremblement de terre si son corps avait pu l'exprimer. Il se raidit, totalement pétrifié, sans être capable de faire le moindre geste ou d'avoir la moindre pensée.

"Papa, dis, est-ce que je suis plus fort que Superman ?"

Daniel se retourna d'un bond, se jeta sur le lit de son fils et lui cria que oui, s'il le voulait, il pouvait être plus fort que Superman, bien plus fort, et même plus fort que n'importe qui. Et Marc, dans son sommeil, continuait de demander :

"Dis, papa, est-ce que je suis plus fort que Superman ?"

Daniel crut mourir cent fois tant sa poitrine le brûlait. Il oublia son corps usé, balaya la folie qui l'embrassait, nettoya les toxines d'alcool qui habitaient son corps et se rappela qu'il avait un fils. Il ouvrit la bouche, et souffla lentement :

"Oui, oui, plus fort que Superman, Marc, plus fort que Superman, plus fort."

"Alors pourquoi je t'ai pas sauvé ?"

L'espace d'un instant, Daniel crut au destin. Mais lorsqu'une infirmière entra dans la chambre, Marc s'était déjà tu. Les sons pesants des machines s'étaient arrêtés au même moment que le coeur de son fils. Daniel tomba.

Il passa plusieurs mois en hôpital, malade, comme si la fièvre allait l'emporter. Ses années de vagabondage l'avaient plongé dans une brume opaque, et ses souvenirs étaient engourdis par l'alcool et la rue. Il fut envoyé en maison de repos durant l'été, au milieu du tumulte de la vie qu'il perçevait d'une étrange manière. Il se réveilla peu à peu, et son cerveau, comme déconnecté un temps, redécouvrit alors de nouvelles sensations. Daniel comprenait que la vie ne serait plus jamais la même, pour la première fois depuis l'accident de Marc. Cette triste vérité, il l'avait refoulée des années durant, s'aveuglant dans l'illusion d'un éventuel réveil. Il n'avait pas réussi à passer le cap ; c'était maintenant chose faite.

La maison de repos était située en campagne, au milieu de quelques villages et d'un grand lac. Daniel savait très bien qui était derrière cette initiative. Son passé ne faisait de lui qu'un fou, qu'un malade mental ivre et suicidaire. A l'annonce de la mort de Marc, sa mère avait dû prendre pitié, et décider de faire un dernier geste en la mémoire de son fils. Le clochard lobotomisé finissait en maison de repos en échange d'un peu d'argent. De quoi se purifier la conscience.

Les premiers jours, Daniel ne sortit pas de sa chambre, se contentant de réfléchir. En réalité, il était pris de spasmes réguliers, de crises de manque et d'angoisse qu'il ne pouvait stopper. Son corps retrouvait peu à peu le droit chemin, tandis que ses idées devenaient plus nettes. Au bout de deux semaines, Daniel franchit le seuil de sa chambre, jeta quelques regards dans les couloirs, s'efforça de répondre aux quelques mots des autres pensionnaires, puis il trouva que quelque chose de nouveau le poussait à vivre. Son fils, sa décrépitude, sa tristesse s'éloignaient lentement, comme s'il ne pouvait les retenir. Il gardait toujours dans le regard une teinte mélancolique, mais son visage s'éclaircissait de jour en jour.

Daniel croyait en la vie.

Au bout de quelques mois, il était devenu l'une de ces ombres sans nom qui errent dans les couloirs, l'un des habitués, un meuble qui traine dans le couloir. Mais un meuble à qui l'on adressait la parole. Un matin, en descendant dans une salle commune, Daniel s'arrêta net. Il perçevait un bruit familier, un bourdonnement grave et lointain, comme un ronronnement. Il fit quelques pas et tomba nez à nez avec Mathilde, une infirmière de 45 ans qu'il connaissait de par son statut de bénévole aux restos du coeur.

"Hé, Daniel, y a du nouveau pour s'occuper"

Elle s'écarta et lui sourit sans même qu'il ne lui prête aucune attention. Sur un bureau, au fond de la pièce, était installé un vieil ordinateur piteux.

"C'est une vieille bécane dont je ne me sers plus, je me suis dit qu'il serait plus utile ici. C'est pas toi qui m'a dit que tu écrivais, avant ?"

Daniel ne l'entendait plus. Il savait pourquoi il tenait encore debout, pourquoi il avait retrouvé la raison. Il s'avança jusqu'au bureau, saisit une chaise et s'assit lentement en face de l'écran vacillant. Il ouvrit un logiciel de traitement de texte, et tapa lentement :

"Dis, papa, est-ce que je suis plus fort que Superman ?"


EPILOGUE
Le Simple fait de rêver était pour eux un luxe

Daniel poursuivit l'écriture de son livre durant plusieurs mois, et par le biais d'un concours, il fut édité, réédité, puis vendu à plusieurs millions d'exemplaire dans le monde entier. De nombreux prix lui furent attribués, à titre post-mortem, car il mourut peu après la première édition de son livre, suite à la découverte d'un cancer du foie. Sa folie le reprit peu à peu, mais sur son lit de mort, il trouva la force de relire l'histoire de son fils. Ce fut une crise cardiaque qui l'emporta, et l'exemplaire qu'il tenait dans ses mains au moment du décès fut vendu à un prix exorbitant. Quant à ses parents, ils firent jouer les liens du sang pour, à défaut de récolter la gloire, s'octroyer au moins la fortune. Cela importe peu pour moi, parce que les quelques pages écrites par cet homme m'ont prouvé que la vie ne sert pas qu'à s'étouffer dans une réalité amère.

Le simple fait de rêver était pour eux un luxe... mais vous ne croyez pas au rêve, non ?

mardi 14 avril 2009

Superman - Partie 3

Marc tomba dans le coma, et Daniel abandonna tout espoir, définitivement. Il essaya désespérement de ne pas trouver refuge dans ce qui l'avait déjà tué par le passé, mais les bouteilles vides finirent bientôt par joncher le sol de leur appartement sale et continuellement plongé dans l'obscurité.

"Dis, papa, est-ce que je suis plus fort que Superman ?"

Il pleurait, criait, frappait, s'arrachait les cheveux, somnolait dans les voluptes de whisky à côté de son fils lorsque le personnel de l'hôpital daignait lui accorder un lit. Il avait arrêté d'écrire, et le ron-ron de l'ordinateur lui échappa des doigts en même temps que leur appartement. Daniel abandonna toute fierté, vint pleurer chez ses parents pour obtenir de l'aide, mais ses yeux avaient adopté une lueur de folie qui effraya même sa mère. Il ne put bientôt plus s'offrir le luxe d'un lit à l'hôpital, et finit par trouver quelques journaux et une rue tranquille pour se laisser glisser lentement vers la mort. Les médecins avaient été formels : son fils n'avait presque aucune chance de se réveiller. Et même si cela arrivait, le traumatisme qu'il avait subi ne lui permettrait plus de vivre et de communiquer normalement.

"C'est difficile de s'occuper d'un enfant, vous savez... alors, un enfant handicapé..."

Daniel croyait en la fatalité.

Les jours passèrent à mesure que la mémoire de Daniel s'évanouissait. L'alcool l'avait pris sous son aile, et les quelques pièces qu'il arrivait à obtenir dans la journée ne lui servait qu'à oublier davantage. Oublier son fils, sa vie, ses manuscrits et ses rêves. Il devint maigre et muet ; ses yeux n'étaient plus que deux boules blanches au milieu de son visage. Ses cheveux et ses dents tombèrent, et il ne put bientôt plus marcher. Il errait, claudiquant, harcelant les quelques passants qui s'approchaient trop près de lui en leur demandant un peu d'argent. Il se parlait à lui-même, marmonnait dans sa barbe sale, regardait les étoiles la nuit et pleurait à chaque rasade d'alcool. Il voulait mourir, mais n'avait pas le cran.

Le temps ne s'arrêta pas, et poursuivit sa route en attrapant par le col tous ceux qui voulaient rester sur le bas-côté. Daniel se laissa emporter pendant des mois, des années, tandis que son fils continuait de grandir sur son lit de mort. Le jour de ses dix ans, Daniel eut un relent de mémoire, et se dirigea silencieux vers le troisième hôpital qui avait accueilli Marc, celui où il resterait jusqu'à ce que mort s'en suive. Le personnel connaissait la triste histoire, regarda le clochard entrer et le laissa monter, plus par peur que par pitié. Des bruits couraient en effet dans le quartier ; certains disaient que Daniel portait sur lui un couteau qu'il avait déjà utilisé par le passé. La rumeur était vraie, mais il ne l'avait jamais utilisé autrement que de manière pratique ou masochiste.

En arrivant au cinquième étage, l'odeur de formol et de nourriture éveilla les sens de Daniel. Ses pupilles brillèrent tandis qu'il se dirigeait vers la chambre 403. A gauche, à droite, encore à droite et puis tout droit. C'était la seule chose dont il arrivait à se souvenir clairement. Il poussa lentement la porte blanche, et entra.

Son fils était là, plongé dans l'obscurité, au milieu des tuyaux et des sons malsains que produisaient les machines qui lui permettaient de rester en vie. Daniel saisit difficilement une chaise posée dans un coin de la pièce et s'assit au chevet de Marc, dans le noir. La porte, restée entrouverte, laissait couler un filet de lumière au pied du lit, éclairant ainsi le visage éteint de l'enfant. Daniel essaya d'ouvrir la bouche, toussa, puis égraina lentement :

"Joyeux anniversaire."

Il y eut un silence au milieu du bruit des engins, non pas une absence de bruit, mais bien un silence. Comme si son fils s'apprêtait à lui répondre. Mais rien ne vint. Pas un mot, pas un geste, pas une lumière divine leur annonçant à nouveau une quelconque once de bonheur. Le silence, rien de plus, rien de moins.

Daniel posa sa main noircie sur le front de son fils, lui caressa la joue, resta quelques minutes assis à se rappeler le passé, embrassa Marc puis se leva. Il se dirigea vers la porte sans tourner la tête, essuya ses larmes puis sortit.

"Dis, papa..."

lundi 6 avril 2009

La Place du Mort #1


Lettre I, 12 novembre 2007
Xanadu - Paris

" J'ai toujours été désorienté par le manque de finesse de certaines personnes.

Il est de bon ton de penser l'Homme comme un objet pensant et non comme une machine, mais les évènements d'une vie peuvent parfois remettre en question certaines vérités considérées comme générales par le commun des mortels.

Je n'ai pas fait long feu dans cette arène. Les gladiateurs qui m'entouraient avaient finis par devenir impitoyables, et leur cruauté fut sans précédent pour moi. Le choc fut si rude que j'en suis mort. Oui, "mort", l'un de ces mots qui vous font trembler ; la faucheuse, dans toute sa violence, qui vous guette et vous tombe sur le coin de la gueule avant même que vous n'ayez pu vous y préparer. J'ai au moins eu de la chance dans mon malheur, parce que j'en avais été informé, moi, de la date de ma mort. Je connaissais le lieu, les circonstances, et la peine que ma disparition allait causer à autrui.

Il serait de bon ton de me présenter. Ni physiquement, ni socialement. Le feu des rapports humains que j'ai entretenu s'est éteint depuis bien longtemps. Il ne me reste que la vague lueur des cendres à observer. Là où je vis, le feu n'a pas sa place. Mes terres sont désolées ; du moins pour vous. Seuls l'air glacé et la sécheresse osent s'aventurer au-delà des frontières qui nous séparent, vous et moi. Je ne suis pas malheureux, bien au contraire. J'ai changé d'opinion sur les notions de Bien et de Mal, par exemple. J'ai découvert que, non loin de chez moi, existait une tribu où l'enfant aîné de la famille était rendu aveugle dès sa naissance. Les orbites inopérants, libéré du pouvoir de l'image, le gamin aiguisait ses autres sens lors des enseignements qu'il reçevait de "sages" ; en réalité, ces mêmes sages n'étaient que la précédente génération d'orbites défectueuses. Quant aux autres enfants, ils étaient destinés, dès leur plus jeune âge, à une carrière qui leur correspondrait. Des tests étaient réalisés d'après un panel de données incroyablement large, portant notamment sur la grossesse du foetus, les signes physiques et caractériels du nouveau-né, ou encore sur l'alimentation et les capacités motrices. Certains gamins bronchaient bien, au début, mais ils finissaient presque tous par briller dans le domaine qui leur avait été imposé. Les autres subissaient de nouveaux tests, encore plus poussés, et travaillaient à des postes vides le temps de leur nouvelle "nomination".
J'ai longtemps vu ces pratiques comme une forme claire d'aliènement, puis j'ai fini par me rendre compte que la bêtise de l'Homme communautaire pouvait difficilement être atténuée d'une autre manière. C'est d'ailleurs pour cela que je vis seul.

Toujours est-il que mon déménagement a été le fruit de longues réflexions. J'ai pris la décision de quitter ce monde parce que j'ai su qu'il y avait autre chose ailleurs. Je ne vous parle pas d'un "Paradis", ni d'un pays du soleil. Je n'évoque pas non plus ces longs récits desquels ont jailli les idées de "paradis artificiel" ou de coma développant les rêves. Non, mon histoire rend vraisemblable et légitime l'idée d'un autre Univers. Un autre pays, une autre "Terre", un autre.

Cet Univers n'est pas né de mes rêves ou de désirs inconscients.

Il existe réellement, et je vous invite à le toucher du doigt.

Du moins, si vous y parvenez."

Jérome Khan

jeudi 2 avril 2009

"Je donne mon avis non comme bon mais comme mien" #1

Faut-il croire en l'Homme ? C'est bête de commencer une réflexion par une question aussi vaste, d'autant plus que la philosophie de comptoir est de nos jours interprétée comme une forme extravertie de masturbation sociale (une des raisons - en plus des penchants gays - de regretter la Grèce Antique et ses penseurs).

On parle "d'évolution de l'Homme" ; je dirai plutôt "aveuglement". A défaut de se pencher sur lui-même et ses tares, l'être humain a toujours tenté de comprendre ce qui l'entourait. D'où la parole, l'écriture, le classement infini et les magazines de mode. D'où l'astrologie, les mathématiques, la littérature et la philosophie - de comptoir, ou non. Alors ouais, je vous apprends rien et cette façon de vous prendre de haut vous écoeure ; vous m'en excuserez, mais si je ne parlais que de moi, vous me diriez égoïste. Faut choisir, hein.

Au fil de notre "évolution", notre seule volonté aura été de construire, d'apprivoiser, d'accroître un pouvoir et un luxe au final bien désuets. Le confort dont nous bénéficions aujourd'hui est franchement sympa, mais fait de nous des assistés. Pas d'eau chaude, pas de supermarchés ; tiens, comment on fait pousser des fleurs ? D'aucuns vous diront que c'est cette technique et ce savoir-faire qui nous distingue de l'animal. Je le vois plutôt comme une façon de se détourner du principal problème.

Je suivrai Montaigne et Pascal - histoire d'étaler un peu de confiture... euh, de culture - en pensant que l'Homme n'a des passions que pour se détourner de sa misère, tout comme l'Homme croit en Dieu pour "s'expliquer". C'est bien marrant de rire de l'animal, ignorant et sincère, suivant ses instincts et s'ignorant... mais nous n'en sommes séparés que par peu de choses : l'égoïsme, la fierté et la mémoire.

La mémoire (savoir) dans le sens où nous la structurons, nous permet d'atteindre un niveau de performances plus important... mais, à l'inverse, elle ne prend sa valeur que dans un type de société. Envoyez un petit français premier de classe au Cambodge, il aura beau savoir calculer une exponentielle, il se fera bouffer de toute manière. La mémoire (souvenirs), si on admet que le temps existe, nourrit l'Homme et lui fait prendre conscience de son "évolution". A l'inverse, elle n'est faite et n'est perçue que par nous. L'importance qu'on y accorde est immense, mais elle n'apprend qu'à vivre en société. Dans une optique universelle, le souvenir conscient n'est qu'humain. Il nous permet d'accepter notre condition et de nous forger une expérience proprement sociale.

La fierté a deux sources : l'une est animale, et s'explique par des principes de survie ; on pourra parler de "chef de meute", si vous le voulez bien. Et si vous le voulez pas, prout. Mais la fierté dans un cadre humain est liée à une volonté d'ascension, de pouvoir, de distinction. La fierté explique la mode, la politique, ou encore la foi en Dieu. C'est encore une fois l'autre qui pousse à briller, parce qu'il fait naître la comparaison, et le questionnement : "suis-je meilleur ?", etc. Nous sommes qui plus est motivés par notre soif de confort et une volonté quasi-inconsciente de s'arracher à toutes les contraintes matérielles. D'où la fierté pour le pouvoir, et le pouvoir par l'argent. Le troc n'est né que du désir de l'Homme de viser plus haut que son contemporain. D'être meilleur, ou du moins "plus fort". S'écraser ou perdre, c'est admettre inconsciemment une faiblesse, c'est reconnaître une domination. Ces rapports de force et de domination existent partout et sont intemporels. Chacun domine et est dominé, et c'est cette équilibre qui fait de nous des êtres perpétuellement tiraillés entre "ce que je dois faire" et "ce que je veux faire". Nous travaillons pour survivre, mais surtout pour doubler ce qui restent sur le côté.
C'est vrai qu'à l'heure d'aujourd'hui, l'argent fait une partie du bonheur. Il est vrai aussi qu'une société sans argent ne ferait pas long feu.

Tout simplement parce que l'Homme est égoïste. Avoir "conscience de soi" implique "soi" ; l'Homme sait qu'il existe, et c'est dans une vie en société que cette perception devient une forme d'égoïsme. Chacun voit et ressent, et traduit ce rapport personnel avec le monde par un repli certain sur lui-même. Il n'y a personne sur terre qui peut se dire "généreux". Les milliardaires offrent des sommes colossales à des associations - sans se ruiner - pour des raisons économiques, d'image ou de satisfaction personnelle. Les célébrités s'affichent dans des shows style "Les Enfoirés" pour redorer leur blason ou leur satisfaction personnelle. Les religieux s'offrent pour que Dieu les garde. La vraie générosité serait de donner sans satisfaction, à contre-coeur, car cette forme de don n'apporte rien ; ce serait perdre son portable et penser "au moins il servira à quelqu'un".

A l'heure actuelle, je ne connais personne qui ait réussi à s'échapper de sa condition humaine. La vie en société fait de nous des êtres aveugles, où le divertissement et la création nous permettent d'accepter la fatalité. Nous ne sommes ici pour aucune raison, personne ne nous a créé, et tout ce que nous avons construit repose sur des bases bancales. Les mathématiques, par exemple, trouvent une certaine logique dans la Nature et sont une clé de nôtre compréhension de l'univers. Tout irait bien s'il n'y avait pas le "nôtre". Les mathématiques ne sont qu'humaines, tout comme la littérature, la philosophie ou encore les magazines de mode.

Vous vous dites sûrement que ce texte au ton apocalyptique va finir sur une incitation au suicide ; vous vous trompez bien, parce que c'est au moment de la conclusion que je suis censé vous clouer le bec. Mais mon pote Montaigne va s'en charger pour moi. Vas-y, gros.

"Si la vie n'est qu'un passage, sur ce passage au moins semons des fleurs"

Yeaaaah, quel beau gosse ce Montaigne ! Allez, bisous les cocos !

Paul (ou le don de finir un article pas du tout comme ça avait commencé)

PS : le dessin de l'article est de Trondheim ; "Les Formidables Aventures de Lapinot", une bédé que c'est bien de la lire !

lundi 30 mars 2009

Un oeil, ça ne t'a pas suffit ?

Décalqué, je suis décalqué, décalqué et paumé, un peu aigri et très amer. Je suis partagé entre ma tête et mon coeur, mais je laisse les couilles à Grand Corps Malade.

Mon corps est le barrage qui empêche à cette vague chaotique de tout submerger. Ma peau s'allonge, plie sous le poids des sentiments, mais tient bon. Ma coque est fatiguée mais me porte encore. Je flotte, je ne sombre pas, mais je dois dire que l'eau commence à monter dangereusement.

Je ne sais plus poser de nom sur ce que je ressens ; je ressens trop de choses que je n'explique pas, incohérentes, étranges, voire même paradoxales. La haine contre l'amour, mais quand l'amour se mêle à la haine, le sentiment qu'on appelle "jalousie" voit le jour sous des regards fiévreux et inquiets. J'ai trop souffert de la trahison pour endormir une nouvelle fois ce violet dévastateur sous ma carcasse. Je le crierai haut et fort, et moi aussi je défoncerai des portes et je m'arracherai le coeur s'il le faut.

Amer et aigri, amoureux étourdi, pauvre navire qui chavire sous vos yeux rouillés. Regardez-le s'enfoncer peu à peu dans l'eau, souriez à la vue de la teinte inquiétante que prend la lumière des compartiments inondés, ce feu vacillant qui vous parvient au travers de la vague et qui semble chuchoter que quelque part, sous l'eau, il trouvera un peu de réconfort. Oubliez le Di Caprio gelé qui glisse des bras de sa belle, je vous parle d'une tempête.

Je ne sais pas ce qui se trame en-dessous, mais je plongerai malgré ma peur des monstres gargantuesques qui s'y trouvent. J'irai voir, là-bas, si mon navire descend silencieusement jusqu'aux abysses, ou s'il est pris dans les courants dangereux qui se joueront de lui avant de le mener contre une barrière de coraux.

Et s'il se trouve dans cet océan des forces destructrices, je les dompterai. Qu'importe la taille, le nombre ; ces monstres tentaculaires seront broyés par tout ce qui sommeille en moi. Et si je te trouve, toi, avec ta jolie façade et tes airs de poète, toi, toi, ton lot de mensonges, ta gueule mouillée, toi le lâche et l'abject, l'Homme qui pue la bonté, je peux te jurer que je t'écraserai, je te détruirai de mes mains et je n'aurai aucun remords.

Qu'importe ce que me dit ma tête, cet océan est le mien et tu n'y plongeras pas.

mercredi 18 mars 2009

Au royaume de Dieu, les athées sont rois

Etre croyant a toujours été un problème personnel. Adorer Dieu jusqu'à l'extrême restera personnel. Etre prêt à mourir pour un symbole religieux est idiot, mais personnel.

Un pape qui annonce : "on ne peut vaincre le SIDA par la distribution de préservatifs, au contraire, il augmente le problème." c'est se foutre ouvertement de la gueule de 6 milliards (et des patates) de personnes.

On a toujours su qu'en plus d'être laids et grabataires, les papes continuaient à lire la Bible à l'envers. Le monde entier a toujours accepté leurs propos homophobes, discriminatoires et austères, en total désaccord avec une vision moderne de la société.

On acceptera toujours qu'il y ait des papes et des gens laids et grabataires, et on considérera toujours ces gars-là comme des symboles de paix et de respect. Putain, mais mon cul en a mal aux rectumatiques !

Excusez ma vulgarité passablement polie, mais, à défaut de croire en Dieu pour des raisons personnelles, je n'ai jamais prôné mon athéisme et ma haine des sectes abrutissantes et pourtant glorifiées. Je n'ai jamais fait sonner les cloches de mes temples invisibles tout au long de la journée, et je n'ai jamais laissé quelqu'un sur le côté à cause de ses convictions, de sa morale ou encore de son mode de vie.

Même en excluant la vague de pseudo-rebelle qui se disent non-croyants pour briller, nous sommes de plus en plus nombreux à jeter Dieu à la poubelle suite à des réflexions que j'oserai qualifier de "logiques".

Les athées ne demandent rien à personne : ils veulent vivre dans un pays laïque, sans être continuellement emmerdés par des questions de religion, et se kékéttent bien des opinions des croyants. Chacun chez soi, et les moutons seront mieux lobotomisés. Ahem, pardon.

Outre le caractère affligeant de ces propos vides d'intérêt que même le IIIème Reich aurait dénigrés, et qui mettent Benoît dans le caca religieux et politique, dénigrer le port de la capote pendant des rapports sexuels est une offense à tous les malades et enfants de malades qui ont pu choper cette crasse. C'est un peu comme dire à Baschung - paix à son âme, mais on s'en branle un peu - que fumer ne tuer pas ; comme dire aux tétraplégiques qu'il est de bon ton de se jeter sous une voiture, ou encore comme balancer aux anarcho-grévistes de Lille 3 qu'un cerveau ne sert à rien, hop, poubelle aussi.

C'est nier l'existence d'une maladie et les souffrances qu'elle implique, c'est faire un pied-de-nez aux médecins qui bossent sur la recherche contre le SIDA en disant : "na na nère, je vis dans un palace, j'ai même plus besoin de me laver la queue moi-même, et vous vous servez à rien-euh".

C'est une attitude puérile et désaxée, d'un âge ancien, c'est un négationnisme ecclésiastique qui commence franchement à me foutre en rogne.

Mais ça ne s'arrête même pas là. Le vieux croûton (pas d'autre terme sous la main, condamnez mon blog si ça vous chante) prône encore, en tant que réincarnation du messie, un "renouveau de la sexualité".

Mon cul est plié en quatre.

C'est vrai qu'il est facile pour un non-pratiquant du plaisir de parler de choses qu'il ne connaît pas. Ca c'est sûr, quand on fait jamais kékétte - ou alors avec des enfants - ; qu'on ne voit pas plus loin que le bout du Vatican - ou en carrosse de verre - ; qu'on porte tout le temps des robes qui ne se vendraient même pas en brocante - ou dans celles du Vatican, justement - il est facile de porter un regard OBJECTIF et GLOBAL sur le monde moderne.

M. le pape ne se rend probablement pas compte que la sexualité a toujours été (et sera toujours) un gros plaisir à deux, avant même d'être un moyen de reproduction. C'est le petit cadeau de Dame Nature aux Hommes, un moyen de dire "tuez-vous à la vie, mais voilà de quoi vous éclater le samedi soir". Bon, après, Dame Nature a aussi créé le houblon et la marijuana, mais ça c'est autre chose.

Le cul, c'est le cul, et parler d'un renouveau du cul, c'est comme espérer l'évolution de l'Homme : ça n'arrivera jamais, jamais, JAMAIS, JAMAIIIIS bordel de zut. A part chez les moutons.

Voilà, c'est tout ce que j'avais à crier sur la toile, un petit message non-médiatisé qui ne pourra sûrement pas contrer le tort des quelques phrases prononcées par un idiot vénéré devant des caméra, mais je m'en contenterai.

J'aime pas les soutanes, de toute façon.

PS : mea culpa, j'avais oublié le "s" de "rois" dans le titre ; je m'en remets à Dieu.

mardi 17 mars 2009

Récits et Nouvelles - partie 2

Et tous les jours, à chaque fois qu'il voyait son fils, celui-ci lui posait la même question :

"Dis, papa, est-ce que je suis plus fort que Superman ?"

Rêve de gosse. Celui de s'éclipser de la banalité, d'un univers vide et déprimant, pour voler dans les nuages, embrasser l'infini et dire adieu à la réalité. Mais elle les rattrapait à chaque seconde, lorsqu'ils se retrouvaient à table devant des assiettes trop peu garnies, lorsqu'ils attendaient devant les resto du coeur à la fin du mois ; lorsque Daniel grimaçait devant les factures. Leur quotidien était devenu si banal que le week-end était devenu leur seul échappatoire.

Chaque samedi, ils prenaient le bus et se laissait porter, descendaient lorsque le paysage leur plaisait et marchaient, riaient, mettaient en scène des histoires improbables et niaises, de méchant roi et de gentil prince, de super-héros et de super-méchant. Le simple fait de rêver était pour eux un luxe. L'amour était leur drogue, et ils en abusaient autant qu'ils le pouvaient. Marc grandissait dans une inconscience heureuse, car son père faisait son possible pour qu'il ne regrette pas la télé, les jeux vidéo et les sorties improvisées. Il se contentait de ce qu'il avait et ne demandait jamais plus. Excepté un costume de Superman.

Un matin, alors que Daniel emmenait Marc à l'école, il comprit que son fils grandissait et ouvrait les yeux sur leur précarité.

"Un jour, je serai super fort, et je nous sauverai.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Parce que Superman, il peut sauver tout le monde !"

Ce fut la dernière fois que Daniel entendit son fils. Il aurait dû venir le chercher à 16h20, à la sortie de l'école, comme tous les jours, s'il n'avait pas reçu un coup de fil de sa boîte d'interim qui lui proposait un entretien pour un poste de télé-enquêteur. S'il n'avait pas été en retard de 15 minutes, Marc ne se serait probablement pas fait renverser par une voiture.

Mais Daniel ne croyait pas au destin.

dimanche 15 mars 2009

Que je sais...

Je me suis longtemps demandé comment les gens percevaient ce que je créais, que ce soit sur le plan musical ou littéraire. Fallait-il soigner les mots, soigner le fond, illuminer le tout avec des photos originales ? Un style ironique donnerait-il une image positive de moi ? Etre sérieux pouvait vraiment payer ?

Au final, j'en ai pas grand chose à faire. Je me suis rendu compte qu'un simple agencement de mots compliqués avait tendance à charmer même les plus sceptiques. Par exemple :

"L'étendu du ciel que je sais me pousse vers de nouveaux horizons qui s'enchantent de mille feux lors du coucher du soleil sur la dune de la plage. Mes jambes mangent en silence, tandis qu'une ribambelle s'exécute et m'exhorte à envenimer les souhaits refoulés de mon coeur, que je sais."

Quel gros con j'ai été. J'aurai pu écrire des textes comme ça dès le début, au lieu de me casser la tête à chercher des mots dans le dictionnaire. J'aurai peut-être même pu publier un recueil de poésie, prétextant une écriture sous cannabis. Mais non, comme d'habitude, il a fallu que je fasse les choses dans les règles et que j'apprenne à écrire. Un minimum.

Louons ceux qui parlent comme je peins !

MAJ (18/03) : je tiendrai juste à préciser ce qui se cache réellement derrière ce texte. L'aspect ironique décryptant l'actualité facebookesque n'est pas là pour mettre en avant une quelconque marque de frustration ou de haine de ma part. Le passé est derrière, il est enterré et je lui souhaite de continuer sa route entre les vers de terre et les ossements moisis. J'ai passé un cap, et mon désir de vengeance s'est transformé en une indifférence qui en serait presque surprenante. Les quelques lecteurs qui me sont proches auront bien évidemment compris à qui - et à quelle partie de ma vie - ce texte réfère. Cependant, je ne tiens pas à le placer sous le signe de la haine ; je reste bien sûr frustré d'avoir été poignardé sur une place publique, je ne digère sûrement pas que le meurtrier soit applaudi, mais je n'agonise plus. La plaie ne se refermera jamais entièrement, et me laissera une cicatrice qui sera la marque de ma naïveté opposée à la faiblesse de certains. Je me suis relevé, j'ai essuyé la boue et le sang sur mes vêtements, et j'ai déménagé dans un endroit où le soleil brille sur des airs de Another Lonely Day - une musique de Harper dont le titre ne définit pas du tout mon état d'esprit actuel, précisons-le. Je ne regrette pas mes choix, je me marre juste doucement en traçant le parallèle entre ce que j'étais et ce que je suis en passe de devenir. L'appartement silencieux qui accueillait jusqu'ici la vie que je m'amusais à foutre en l'air se transforme peu à peu en un havre de paix ; j'ai tout lavé à l'eau claire, j'ai jeté les vieux souvenirs et les tableaux sur le mur pour en accrocher de plus beaux. Et les rayons du soleil embellissent chacun de mes réveils par leur intensité et leur sincère beauté. C'est vrai que je suis un peu ébloui pour le moment, et que j'ai du mal à croire qu'il puisse réellement y avoir de la lumière dans cette nouvelle ville. Mais il est également vrai que je reste fidèle à certains adages, tels que "l'ombre et la lumière sont préférables au néant" - le gras marque la citation. Et c'est justement la raison de cette paix intérieure qui m'anime : je suis heureux de comprendre réellement le sens de ces mots, contrairement à d'autres. A ceux-là, je souhaite tout le bonheur qu'ils pourront grapiller, je leur souhaite de grandir et de réfléchir à cette grande question : "celui qui poignarde est-il vraiment celui qui y gagne ?". Quant à moi, je vais me coucher serein sur un accord de La Majeur, parce que je l'aime bien, celui-là.

jeudi 12 mars 2009

Si j'étais poilu et masculin...

Je me marre.

Les média nous parlent de tolérance à longueur de journée ; n'importe qui croit connaître le sens de ce mot, se dit fermé à la discrimination et, au final, il en ressort une grosse dose d'hypocrisie épicée de sourires que même t'as envie de mettre des tartes au gens après.

Un exemple : être jeune, pour trouver du boulot, c'est pas très cool. Etre en plus étudiant, ça réduit le champ des possibilité. Alors, avoir en plus l'air d'un gosse imberbe de 17 ans, c'est le chômage assuré.

Quand on cherche du boulot, il faut savoir présenter ; ça, c'est que les gens disent. Il faut savoir se tenir, faire bonne impression et sucer des queues pour réussir. Il faut savoir se rabaisser, se rabaisser, se rabaisser et se baisser encore un peu pour attendrir, présenter un CV garni d'expériences atypiques et surtout, surtout avoir la gueule de l'emploi.

Elles me font bien marrer, les boîtes d'interim qui se prétendent ouvertes aux étudiants. A peine rentré, je sais déjà que tout est fini. Mais bon, je salue quand même le public féminin attardé qu'on appelle "attachée clientèle", j'attends qu'il comprenne les quelques mots un peu trop compliqué que j'ai utilisé et je finis par baisser les bras quand une mèche de ma touffe me retombe sur le coin de la gueule.

Alors oui, on me dira sûrement qu'il faut partir gagnant, mais je l'ai fait longtemps, et je ressortais à chaque fois déprimé. Alors oui, il faut insister, mais j'ai insisté longtemps et je finis par perdre patience. On entend dire que le physique ne compte plus pour trouver du boulot, que ce sont maintenant les noms étrangers qui sont préjudiciables... je me marre, et mon cul se marre aussi.

Je ne nie pas qu'il est normal de devoir choisir le meilleur ; je ne nie pas mes défauts de présentation. La huitième CSP me colle au cul comme un pot de colle. Difficile d'avoir un pot de colle collé au cul, d'ailleurs. Ca fait beaucoup de colle, tout ça, d'ailleurs. Et ça commence à faire beaucoup de "d'ailleurs" aussi.

M'enfin bon, je sais aussi qu'un coup de gueule sur ce plan-là sera jugé anodin et typique, parce qu'après tout des étudiants qui galèrent à trouver du boulot, y en a plein, et je suis sûrement pas le plus mal loti.

J'adresse juste ce message à toutes les petites secrétaires idiotes qui se permettent de me prendre de haut : si j'en ai un jour les moyens, je vous ferai virer, je vous ferai danser nu sur des places publiques, on vous fera apprendre plein de mots compliqués comme "anachorète" et je veillerai personnellement à ce que vous vous retrouviez de l'autre côté du bureau. Je serai en face, et je vous enverrai bouler parce que je préfère croiser un type aux cheveux longs plutôt qu'une pétasse manucurée. Mais ça, c'est mon avis de français tolérant.

En attendant, je passe chez le coiffeur et je contacte un chaman pour qu'il me fasse pousser un bouc.

Na.

lundi 16 février 2009

Récits et nouvelles - Partie 1

"Dis, papa, est-ce que je suis plus fort que Superman ?"

Cette phrase, il l'avait entendu des centaines de fois.

"Pourquoi tu me demandes ça ?
- Ben, ça serait vachement marrant !"

Son fils avait 7 ans, travaillait mal à l'école et venait de rentrer dans la nouvelle vague d'enfants touchés par la mode des super-héros. Il avait toujours refusé de lui offrir un costume de Superman, alors Marc s'en était fabriqué un lui-même. Son masque de carton lui cachait le visage en permanence, et le drap qu'il portait sur le dos était grossièrement peint à la peinture, à tel point qu'à quelques endroits, le blanc original contrastait avec le rouge délavé.

"Et là, tu fais une addition ou une soustraction ?
- Euh...
- A ton avis, regarde, la croix ça veut dire quoi ?
- Euh..."

Marc était un enfant non désiré, dans le sens où il avait conçu involontairement. Daniel avait 20 ans à l'époque, son ex un peu plus. L'enfant était né, la mère s'était enfuie, le père tenait bon. Sa vie avait changé du tout au tout, mais la bouille de son gosse le ramenait à chaque fois vers la réalité. Pas très belle, la réalité.

Au chômage, touchant quelques allocations, Daniel ramait pour offrir à Marc une vie décente. Il ne voyait plus sa famille, ni ses amis. Tous l'avaient quitté les uns après les autres, silencieusement, sans explications. Certains s'étaient même permis de reprocher son égoïsme et sa lâcheté à celui qui donnait tout à un autre. Son père n'avait jamais compris la volonté de son fils de garder l'enfant ; sa mère suivait, mais lui envoyait quelques billets de temps en temps. Une dernière main tendue au milieu du vide.

Daniel se contentait de sa vie ; il ne pourrait jamais remercier Marc pour tout ce qu'il avait fait involontairement : arrêt de la cigarette, de l'alcool à foison, et des drogues toutes plus dures les unes que les autres. Même si plus aucun plaisir, plus aucun espoir de changement ne se profilait à l'horizon, Daniel avait un but : son fils.
Il était devenu un père célibataire typique, se levait, emmenait Marc à l'école à pieds, et rentrait chez lui. Leur seul luxe était un vieux PC qui ronflait comme un vieux chat enrhumé, permettant à Daniel de chercher du travail et de poursuivre son seul rêve : l'écriture.

Le jeune père avait commis l'erreur de quitter l'école à 16 ans ; il était sûr de ses capacités d'écrivain, et même ses professeurs l'avaient encouragé à suivre cette voie. Depuis, il n'avait rien publié. Des dizaines de manuscrits traînaient dans ses armoires, attendant d'être expédiés à un éditeur quelconque. Et Daniel attendait. Il ne regrettait pas son choix, parce qu'il savait que travailler comme quiconque l'aurait tué. Il préférait vivre dans des conditions précaires plutôt que de se tuer à la tâche. Quant à son fils, il semblait avoir hérité du même défaut. Ses notes étaient faibles, et il n'avait dû son passage en CE2 qu'à de bons résultats au dernier trimestre.

Chaque jour, Daniel s'installait sur le bureau usé de sa chambre et pianotait des heures entières sur le clavier de l'ordinateur. Il rêvait. De paysages aveuglants, de héros mélancoliques, de l'amour insaisissable et de la tristesse qui l'embrassait. Ces mondes étaient les siens et surtout les seules marques de ses capacités. S'il avait eu un peu de chance, il aurait pu naître dans une bonne famille, ou rencontrer un éditeur par le biais d'un oncle fortuné ; il savait qu'il avait les capacités d'écrire un best-seller, et même plusieurs, de devenir l'un de ces artistes "multi fonctions" ; qui écrivent, chantent, dansent, et travaillent sur des plateaux de télévision.

Mais Daniel ne croyait pas en la chance.

samedi 3 janvier 2009

Pendant que le monde bavarde à rien d'important

Oui, il avait ses torts, mais il les connaissait.

Le bus qui le ramenait de Belgique roulait bruyamment. Au dehors, quelques dizaines de lumières brillaient au milieu de la nuit, quelques lumières lointaines qui lui rappelaient qu'ailleurs, il y avait de la vie. Les passagers ne le fixaient pas, malgré son teint pâle et ses yeux mi-clos. Ils s'occupaient, comme à chaque trajet, de choses inutiles. Parler, rire, manger, lire un livre ou, comme lui, écouter de la musique. Son coeur battait bien trop fort. Il savait qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps, plus que quelques minutes avant l'arrivée en gare. Il savait qu'il ne reprendrait plus ce bus, et qu'il n'y aurait pas de retour. Il savait.

Malgré tout, il se surprenait encore à rêver d'une belle histoire d'amour, comme on en voit dans les films, comme on en entend dans les morceaux embellis de quelques artistes maudits, comme on en voit dans la magie des songes. Oui, il aurait aimé dormir sous les arbres le reste du temps.


Mieux que tous les palais de marbre, l'or des sultans.

Mais la vie le ramène là, dans ce bus macabre, comme l'ultime voyage d'âmes égarées.

Non, sa vie n'intéressait personne, et même lui oubliait qu'il était homme parmi les hommes. Non, il n'était pas beau, pas vraiment cultivé, et franchement pas sociable. Il était l'un des fantômes que l'on croise dans la rue, l'une de ces personnes sans distinction, un corps, une tête, et rien de plus.


Mais pendant que le monde bavarde à rien d'important, il aurait aimé dormir sous les arbres le reste du temps.

Il posa sa main à plat sur son coeur fatigué, l'écoutant battre à perdre haleine, comme s'il lui murmurait "tu es vivant, remue-toi, vite". Vouloir vivre est une chose ; survivre en est une autre. Lui, il survivait, au milieu des regards fugaces, lassé de toutes ces pensées malsaines qui voyageaient en permanence au-dessus de sa tête. Il aurait dû naître fort, arrogant, et sûr de lui, mais toutes les nuits il ne parvenait qu'à se blottir sur lui-même en se demandant s'il arriverait à décrocher un sourire à la journée qui l'attendait.


C'était un monde de pensées qui s'ouvrait à lui chaque matin, l'espoir intense de trouver une once de bonheur dans l'altérité. Mais personne ne le voyait, et personne ne semblait l'entendre. Chaque être humain, dans sa folie égoïste, ne cherchait qu'à lui soutirer quelque profit personnel.
Un peu d'argent, un peu d'amour, beaucoup de haine.

Le bus klaxonna ; il ouvrit les yeux. Son coeur glissa entre ses doigts, et, dans un dernier coup de grosse caisse, une décharge lui parcourut le torse, les bras, les jambes et le crâne. Sa tête claqua sur le carreau, ses bras retombèrent, ses yeux se refermèrent.


Derrière lui, deux jeunes rièrent, pensant qu'il pouvait sentir la douleur provoquée par le choc contre la vitre.


Devant lui, une jeune fille écoutait son baladeur en regardant le paysage. Elle aurait aimé s'asseoir sous les arbres le reste du temps.


Lorsque le bus arriva au terminus, le chauffeur découvrit stupéfait qu'un de ses passagers s'était vomi dessus. En essayant de le réveiller, il comprit qu'il était trop tard.


Nous naissons, vivons et disparaissons dans l'anonymat le plus total. Nos pensées échappent aux autres, et ces mêmes autres n'envisagent pas une vie altruiste.


Tous autant qu'ils sont.