mercredi 11 avril 2012

De maintenant à demain, il n'y a qu'un pas ; reste à connaître la taille de l'enjambée.

Ainsi me voilà devant le Présent, enfin sourd aux appels de ce que j'étais, et de ce que je serai. Sur un plan plus ou moins étalé dans le temps, mon imagination me présente une image de moi qui configure mes rapports aux autres : suis-je en accord avec mes actes ? Avec ma façon d'agir ? Dois-je faire voeu de piété, ou chercher plus d'expériences ? Autrement dit, suis-je bien dans mes pompes ?

Le mal du XXIème siècle sera celui de l'esprit. Alors qu'auparavant le corps souffrait de trop de négligences, nous sommes aujourd'hui pris dans la spirale de la complexité. De mieux en mieux organisée pour servir les intérêts du collectif, voilà que la société oblige l'individu à ne plus se tourner les pouces lorsqu'il s'agit, tout simplement, de rendre visite à quelqu'un. L'honnêteté, cette notion toute neuve - deux, trois siècles, dans son étymologie moderne -, commence sérieusement à nous casser les noix.

Nous sommes forcés, au jour le jour, d'adopter ce profil ; ce masque, cette "idée de moi", cette sphère imaginaire qui nous situe dans le Présent. Bien, c'est un bon point, alors ; car enfin, c'est bien le Présent qui nous rend heureux. Oui, mais, quand la situation tourne à l'inverse, quand l'imaginaire ne peut plus être sollicité librement, parce que l'individu se voit contraint de restreindre son image de lui-même à ce que la société lui autorise (ou à ce qu'il estime que la société lui autorise) ? Comme la famille, la société se révèle une source d'apprentissage, mais aussi un carcan. L'Enfer, c'est les Autres...
Cette tension rejaillit sur chacun d'entre nous, mais particulièrement sur les personnes sensibles, ou faible d'esprit ; ceux qui ont plus de mal à se défendre, ou qui perçoive plus les petits coups quotidiens. A terme, et sans mise en place d'un système de défense ou d'attaque, l'individu se retrouve défait de lui-même, porté hors de ses moeurs, de sa vision du monde, de ses buts premiers, par les autres.

Pourquoi pensez-vous que l'adolescence se révèle une période si difficile ? A cause de la puberté ? Et si elle n'était qu'une réaction à quelque chose ?

Notamment un changement dû à la façon dont l'individu se perçoit, et fonction du regard d'autrui. Car enfin, le voilà influencé, invité à rejoindre un groupe dont il peut être éloigné. Adolescent, en opposition, ou par appartenance, c'est avant tout la quête de soi qui est en jeu : un soi à fabriquer pour qu'une fois adulte, aspirations et envies soient en concordance avec la majorité. Ne pas heurter, ne pas choquer ; tout le principe de la communication se projette durant cette période. Certains, évidemment, y parviennent sans soucis, alors que d'autres, par choix ou par incapacité à comprendre comment fonctionne cette masse pensante, ne s'y rallient pas.

Comprenez qu'abandonner sa part d'enfance est une faute importante. Quelle que soit la forme qu'a pu prendre l'éducation, l'apprentissage seul est une valeur de base dans le taux de motivation et dans l'envie, dans sa forme générale. Apprendre est permanent, constant - tout comme oublier. C'est ce désir sans nom qui nous projette dans le futur ; lui qui nous donne la joie, chaque jour, de se lever et d'avancer. Sans l'envie de l'apprentissage, voilà qu'il n'y a plus rien à rêver et à vouloir. Apprendre d'une expérience, apprendre d'un savoir ou de quelqu'un, apprendre pour transmettre et apprendre pour soi, en dernier lieu.

Finalement, le Futur n'est que le Présent dans un autre plan : plus tard, j'aurai appris et oublié, mais je n'en saurai pas plus que maintenant. Ma capacité cérébrale n'aura pas augmentée ; j'aurai simplement suivi le conseil d'Anaxagore de Clazomènes : rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau - honteusement, d'ailleurs, piqué, plus tard par Lavoisier ; je serai donc différent, tout simplement, possesseur de nouveaux savoirs, de nouveaux us, peut-être, influencé tout au long de ma vie par le regard et la force d'Autrui.

Et si je me laisse influencer au point de m'oublier, je me perds moi-même. Alors, je peux passer mon temps à me chercher, mais il n'y aura qu'une voie pour retrouver celui que j'étais : celle du corps. En appréhendant les sensations, les sentiments, non pas en les expliquant mais bien en se donnant les moyens de ressentir les choses, il est possible de retrouver des bribes de soi. De se situer à nouveau dans un imaginaire qui correspond vraiment à soi, en bref.

Saint-Exupéry pense que le futur n'est pas à prévoir, mais à permettre ; qu'il n'est qu'un agencement des frasques du présent. Mais à sa thèse, j'oppose le fait que ces frasques sont déjà une construction. Or, il faudrait donc perpétuellement construire, mais qui plus est construire à partir des mêmes choses. L'Autre intervient donc forcément dans le concept ; ou tout au moins une rumination des choses que cet Autre procure. J'aurais, ainsi, d'autres fragments à ajouter continuellement à cette construction de moi, de ce qui m'attend, à partir de ce que j'étais, et de ce que je croise. Le futur n'est donc pas à permettre, mais à vouloir. Il n'y a rien à permettre, ni rien qui soit envisageable, dès lors que cette chose n'est pas établie. Rien ne prouve qu'elle puisse se réaliser. Il s'agit donc de vouloir et de persister tout entier dans cette envie. L'imaginaire, finalement, s'agencera autour non pas du Présent, mais du Futur à mettre en place.

Et personne n'est plus dans l'instant que quelqu'un qui s'imagine demain.

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